De lourds coups à la porte réveillent désagréablement Chopin. Les sourcils froncés, il releva la tête de son coussin, et s'aperçut qu'il s'était une fois de plus endormi sur le canapé. Un mal de dos en résulta, tout comme des cheveux décoiffés et des pages de livre froissées.
Il se leva péniblement, et grogna autant que continuaient les coups sur la porte. En traversant son salon, pieds nus et seulement vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise négligée, il jeta un œil à la fenêtre. Il ne savait pas l'heure qu'il était, mais en tout cas il faisait nuit. Qui pouvait bien lui rendre visite? Ça ne pouvait être la voisine, s'il dormait son jeu n'avait pas pu la déranger... et Solange et Maurice dormaient paisiblement sur le matelas qu'il avait installé pour eux au pied de son lit, dans sa chambre. Normalement. Ou bien c'était Liszt ou Sand, voire Delacroix, revenu de Savoie et qui avaient aussitôt filé chez lui. Ils en seraient capables, ces imbéciles.
Sans même se recoiffer ni remettre sa chemise droitement, il tourna la clé et ouvrit la porte d'entrée. Encore une fois, il mit quelques secondes à reconnaître son hôte auto-proclamé.
- Frédéric, mon ami ! Je suis rassuré que vous m'ayez ouvert. Je ne vous dérange pas, n'est-ce pas?
Mais comment faisait-il pour toujours paraître aussi bien propre sur lui?
- Monsieur Mendelssohn... bonjour... bonsoir, bâilla-t-il. Que... puis-je faire pour vous?
- Il se trouve que je me suis attiré quelques ennuis... rien de grave, je vous l'assure. En fait, j'aurais besoin que vous me rendiez un service. Infime, vraiment. Mais je vous en serai reconnaissant à jamais!
- Dites-moi tout, fit-il avec désintérêt. Enfin, rentrez tout de même ; ne restez pas dans le couloir. Et ne soyez pas bruyant, s'il vous plaît, les enfants dorment dans ma chambre.
- C'est vrai que vous les avez encore avec vous! N'hésitez pas à me prévenir s'ils sont encore vilains, ces garnements.
- J'y penserai... enfin, entrez.
Il ne se fit pas prier, et tandis que Chopin se frottait les yeux, se remettant difficilement de son réveil, il fila dans le salon et s'installa dans un fauteuil avec une vivacité étonnante.
- Vous semblez bien en forme, malgré l'heure tardive, lui fit remarquer Chopin en se rasseyant sur le canapé adjacent.
- Ne vous y trompez pas ; en réalité je suis épuisé. Je ne le parais pas, car contrairement à ma jeunesse où ma paresse se voyait sur mon visage, j'ai appris à cacher ma fatigue. Il faut bien garder un esprit vif après des heures de répétition. Enfin, je ne suis pas venu vous parler d'orchestre, vous vous en doutez.
Et heureusement, parce qu'il n'aurait pas eu la foi de l'écouter. Un frisson le parcouru, et il tira à lui la couverture en laine rouge qui ornait le dos du canapé pour s'en recouvrir. Tant pis s'il lui paraissant pathétique. En même temps, il n'avait qu'à pas débarquer au milieu de la nuit.
Devant son silence, Mendelssohn reprit :
- Voilà ce qu'il en est : c'est que je n'ai pas l'argent nécessaire pour rentrer en Allemagne. Et je vous prie d'accepter de me prêter quelques pièces de monnaie. Bien sûr, je vous rembourserai immédiatement à mon arrivée!
Mendelssohn fauché. C'était trop irréaliste pour être vrai. La dernière fois qu'il avait vu son portefeuille, il contenait assez de billets pour acheter un château.
- Plaît-il? Comment est-ce possible?
Son interlocuteur afficha un visage peu fier, et montra les sacs de cuir remplis de boîtes qu'il avait déposé près du fauteuil, et que Chopin n'avait pas remarqué, tout en détournant son visage légèrement rouge d'embarras.
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...