Chapitre 10 - Espèce de sale gamine

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Les environ deux heures de trajet du retour se sont passées assez calmement. Nous avons croisé quelques titans que nous avons simplement contourné et seuls quelques fumigènes sont venus perturber le ciel orangé de cette fin d'après-midi. J'ai passé tout le début du trajet à me lamenter sur mon inutilité durant le combat, à me demander si ça allait être à chaque fois comme ça, à regretter le sourire de reconnaissance de cette fille, et à m'en vouloir de ne pas avoir réussi à sauver cet adolescent il y a quelques jours.

Mais j'ai bien dû affronter la réalité en face : la guerre des titans, c'est comme la guerre des criminels. Certaines personnes bien payent de leur vie pour contrer le mal des autres. Il faut l'accepter. Nous ne sommes pas tous sur un pied d'égalité face aux chances de survie. Je me suis persuadée que me lamenter sur tout ça était inutile, qu'il fallait remercier ces soldats qui avaient payé de leur vie aujourd'hui, mais avancer et ne plus y penser après.

Nous sommes rentrés à l'intérieur des murs. L'accueille que nous réservaient les habitants n'était que peu glorieuse. Erwin en particulier, s'est fait huer et crier dessus. J'ai éprouvé de la peine pour lui. Nous avons tous trotté en silence jusqu'au grand château. Lorsque nous sommes arrivés, j'ai confié ma monture aux recrues qui s'occupent des écuries, puis je suis partie m'entraîner un peu dans un champ de blés dorés par le soleil, j'ai fait quelques exercices de combat histoire de m'entretenir. Le soir commençait à tomber.

A présent me voilà sous la douche. Je n'ai pas revu ma petite bande depuis, mais je suis persuadée qu'ils vont bien. Ces jeunes ont l'air d'être des durs à cuir et je doute qu'ils ne meurent aussi facilement. L'eau brûlante ruisselle le long de mon visage et descend dans mon dos tout en effaçant la tension de mon corps. Je pense à tout ce qu'il s'est passé ces derniers jours. Il faut dire qu'il s'en est passé des choses !

Tout a tellement changé en si peu de temps... Il y a une dizaine de jours je traquais les criminels, et maintenant me voilà à battre les titans. Je ne cache pas que courir dans toutes les rues, élaborer des plans et surtout - surtout battre des gros lardons gras pendant un interrogatoire pour leur montrer que je suis quelqu'un à qui ils vont obéir me manque beaucoup, mais cette nouvelle vie ne me déplaît pas. Je dois avouer que les autres ont raison. Tuer les titans est vraiment satisfaisant.

C'est bien de s'occuper des cas de ceux dont il faut s'occuper, c'est même essentiel pour la civilisation. Cependant, si deux jours après tout le monde meurt par une potentielle autre invasion de titans, les gens mauvais comme les gens bien, tout le monde sera décimé, tout ce travail partira alors en fumée.

C'est donc essentiel, aussi, d'assurer la survie de l'humanité, surtout depuis que les murs ont été détruits. Et puis de toute façon, rien n'est définitif : je pourrais très bien retrouver ma vie d'avant si jamais par miracle les titans disparaissaient, ou bien je pourrais alterner et jouer la soldate un jour, l'agent le lendemain, si mon ancienne vie me manque trop, comme Nabae me l'a conseillé. Je me demande d'ailleurs ce qu'il en est de ceux qui me poursuivaient. Sont-ils toujours à ma poursuite ? Sont-ils déjà toujours vivants ?

Quant à partir définitivement... Je crois que ce n'est pas envisageable. J'ai vu toute sorte d'atrocité aujourd'hui, qui se sont ancrées dans ma mémoire, et je crois que je ne pourrais faire autre chose de ma vie sans y penser. Je ressens le besoin d'aller jusqu'au bout de ma quête, de devenir forte à ce nouveau poste qu'est ma nouvelle utilité. Je m'y sens plutôt bien en fait, mieux que ce à quoi je m'attendais, et... "Si tu oses partir, je te jure que je..."

Je sursaute presque sous ma douche. Mais... qu'est-ce que ? Je reste un instant béate, le regard dans le vide, avant de me reprendre. Sombre imbécile, quand vas-tu comprendre qu'il a dit ça juste pour t'intimider ! Furieuse de me ruiner mon propre moment de calme, je coupe l'eau et sors de la douche d'un pas vif. Quand va-t-il me laisser tranquille celui-là ? Je ne peux même plus prendre une douche sans qu'il me dérange !

Embrasse-moi gamineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant