Sang d'ébène

Chapitre 9.1 - Le Temple de l'Air

Timéo s'accroupit devant moi. Son bras glisse sous mon lit et palpe la surface rugueuse du parquet. Il se relève avec dans sa main mon rouleau blanc. Sans m'adresser un mot, il s'approche. Le parquet craque sous l'effet de ses genoux. Nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres. Perturbée, je retiens son buste d'une main ferme. Qu'est-ce qu'il est musclé !

— Euh... Tu fais quoi là ?

— J'aide une pauvre fille en détresse, souffle-t-il tout en agrippant mon poignet droit.

Le bandage caresse ma peau. Timéo le place au milieu de mon biceps, fait deux tours puis le déroule sur mon épaule droite, et fait deux tours. Je me laisse faire, ne sachant pas quoi dire ni quel comportement adopter. Son regard est concentré. Je n'ai jamais eu l'occasion de le regarder d'aussi près sans que ses yeux noirs m'observent. Ses traits angéliques me font vaciller, il est encore plus séduisant. Son front et ses yeux se plissent à force de fixer mon épaule sans bouger. Il ne remarque même pas que je l'épie du coin de l'œil. Sa présence me fait oublier mes soucis. Il bande mon bras avec douceur et dextérité. Il peut se montrer aimable de temps en temps, et devrait toujours rester comme ça. Cette idée me fait sourire. Il termine de nouer les deux extrémités ensemble, et c'est fini. Il me surprend.

— Arrête de sourire, tu vas avoir des rides, dit-il en se levant.

— Ah... Euh... Merci pour ton aide.

— Je te dois bien ça.

Il pose le rouleau propre sur ma table de chevet avant de s'éclipser me laissant seule dans le gîte. Je reste un moment assise sur mon lit, perplexe par son attitude qui change toutes les minutes. À chaque fois que je me montre gentille avec lui, son visage se voile, ses expressions se figent et il s'enfuit. Je maintiens mon épaule par ma main, puis m'allonge doucement sur mon matelas, trop dur à mon goût. Je remonte l'épaisse couverture jusqu'à mon menton pour maintenir au chaud. Fatiguée, je ferme les yeux.

***

Je me réveille le lendemain matin avec une douleur au ventre. J'ai faim. Dans toute cette agitation, j'en ai oublié de manger. Une faible lueur m'éclaire. Les couettes épaisses forment des bosses. La majeure partie des élèves sont encore endormis. Une odeur désagréable me titille les narines. J'aimerais bien changer mon maillot rempli de sueur, mais avec ma blessure il me faudrait l'aide de Luna. Prenant mon mal en patience, j'attrape mon châle et sors prendre l'air. Le parquet craque sous mon poids, lorsque je me glisse hors de mon lit. Je slalome lentement entre les lits superposés pour ne réveiller personne. Je tourne le loquet de la poignée. Un petit grincement retentit, fébrile, je l'ouvre avec précaution. La brise matinale me rafraîchit le visage. Au centre de la place du village, le feu brûle encore. Je ravive ses flammes orangées en jetant deux, ou plutôt trois bûches au cœur du brasier. Je m'assois sur un bloc de roche grise taillée en forme rectangulaire. M. Steel vient me rejoindre avec une marmite à la main.

— Bonjour, Hope, tu es bien matinale aujourd'hui.

Il pose la marmite au-dessus du feu.

— Oui, mais en même temps, j'ai dormi toute la journée d'hier, je me suis suffisamment reposée.

— Ta blessure va mieux ?

— La douleur s'est un peu atténuée. J'espère pouvoir rapidement utiliser mon bras.

Je regarde mon bandage, et repense instinctivement à la larme de sang noir. Indécise, je le dévisage.

— Monsieur...

— Oui ?

— Je peux vous poser une question ?

— Oui, je t'écoute.