Chapitre 10.1 - La Terre du Feu Sacré

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Situé au sud de la contrée d'Eden. Le territoire du Feu sacré est de loin le plus impressionnant. Après avoir traversé le fleuve qui se déverse dans l'océan des Abysses, je tombe de haut. Le lieu est à la fois sombre avec son sol recouvert de cendre et de pouzzolane noire, mais également puissant avec ses courants de laves rouge vif qui zigzaguent, créant des îlots habitables. Contrairement à la forêt dense et verdoyante d'Eden, cet endroit est pauvre. Il ne se compose que de quelques massifs de fougères, de mousses et de lichens qui naissent au creux des failles de ses roches volcaniques. Au sommet trône un imposant volcan, créateur du fleuve de lave chaude. Les maisons sont en pierres grises isolées les unes des autres par des murets privatifs. Nous sommes accueillis par des hommes et femmes qui pour la majorité ont les cheveux noirs et des visages poussiéreux. D'autres ont les cheveux bruns. Leurs yeux de couleurs ambre, brunes ou grises brillent à notre arrivée. La virilité des hommes se démarque par leurs barbes bien entretenus avec des habits noirs. Leur style vestimentaire est identique à celui de Timéo. La plupart des femmes portent de longues robes rouges fluides. Certains élèves courent dans les bras de leurs parents, sauf Timéo. Je me demande bien si son caractère est de famille. Curieuse, j'ouvre ma bouche :

— Tu ne vas pas voir ta famille comme les autres ?

— Pas besoin, dit-il sèchement.

Un long silence s'installe entre nous deux. Timéo soupire d'agacement et s'écarte pour aller emmener son cheval dans les écuries. Je tape dans le bas-ventre de Blacky pour lui ordonner d'avancer. Il exécute mes ordres facilement, car il n'y a aucune herbe à brouter sous ses sabots. Dans l'écurie, je tombe avec brutalité, toujours à cause de la différence de hauteur entre lui et mes petites jambes menues. Tout le monde attend dehors. Le directeur arrive accompagné du chef du village qui nous demande de le suivre. Nous traversons un pont en pierre. La lave qui coule sous mes pieds dégage une forte odeur piquante. Un gaz invisible. Des gouttes de sueur perlent sur mon front. Je suffoque !

La montagne noire déverse inlassablement sa lave rouge pour conquérir le territoire. Sur notre îlot se trouvent deux grandes maisons. L'une attribuée aux filles et l'autre aux garçons. Cette fois-ci nous ne sommes pas mélangées. Je suis soulagée. Dans notre logis, je découvre une similitude dans l'agencement des lits. Ils sont superposés comme dans la maison en pierre du royaume de la Terre. Il se distingue par le sol noir avec cette roche volcanique poreuse et rugueuse. Rien qu'en passant ma main dessus, je peux sentir ma peau morte se retirer délicatement laissant la place à une peau nouvelle plus lisse. Je m'installe à côté de Luna. Je dépose mes affaires sur mon matelas puis sors avec elle pour partir à la découverte de ce nouveau territoire. Les petites îles se ressemblent toutes, elles sont rattachées par des ponts en pierre. Le lichen vert vient se glisser entre les fissures des pierres imbriquées les unes sur les autres. Nous marchons côte à côte, regardant chaque maison sur notre passage. Il n'y a pas de potager pour cultiver des légumes ni de verger pour ramasser des fruits. Leur jardin est principalement végétalisé avec des massifs de fougères et des tapis de mousse au pied. L'herbe verte fraîche est inexistante dans ce milieu. La roche l'empêche de prendre racine, c'est pourquoi il y a très peu d'arbres qui colonisent l'espace. C'est bien dommage, car avec la chaleur du soleil mêlée à celle de la lave, j'ai l'impression d'étouffer. La fraîcheur d'un coin ombragé me manque. Notre balade se poursuit d'îlot en îlot jusqu'à ce que je le voie. Caché derrière un arbre, il fixe la maison d'en face. Une femme est dehors avec un homme assis sur un banc en pierre en train de discuter.

— Oh dit Luna. Ce n'est pas Timéo là-bas ?

— Oui je viens de m'en apercevoir, je me demande bien ce qu'il fait.

— C'est peut-être ses parents ?

— Peut-être. Mais, c'est bizarre. Pourquoi se cache-t-il s'il s'agit de sa famille ? Ne devrait-il pas courir les saluer ? Moi, à sa place, je serais heureuse de voir mes parents.

— Oui c'est vrai. Je ne pense pas que c'est sa famille. Tu viens ? Il est l'heure du dîner. Le soleil ne va pas tarder à se coucher. Les autres doivent nous attendre.

Mes yeux restent rivés sur Timéo.

— Ah... euh... pars devant, je vais encore marcher un peu.

— D'accord. Ne tarde pas.

Le bruit de ses pas s'estompe.

Intriguée par Timéo, je décide d'aller lui parler pour éclaircir l'affaire. Je m'avance doucement, en veillant à ne pas attirer l'attention des habitants.

— Tu fais quoi derrière cet arbre ?

Il me dévisage, agacé. Puis il part sans un mot. Pourquoi faut-il toujours qu'il se braque quand j'essaye d'engager la conversation ? Pour une fois que je veux me montrer sympa avec lui, eh bien c'est raté. Je rebrousse chemin. Soudain, quelque chose de dur me frappe de plein fouet au visage. Une douleur vive me lance. Un ballon rouge rebondit deux fois avant de terminer sa course dans un parterre de fougères. Une femme vient à ma rencontre accompagnée d'un petit garçon pas plus haut que trois pommes.

— Oh je m'excuse, vous allez bien ?

Il s'agit de la femme de la maison qu'épiait Timéo. Je masse mon front cabossé par le ballon, tout en lui adresse un maigre sourire.

— Pas de soucis, j'ai la tête dure.

J'attrape le ballon dans le massif de fougères pour le rendre à l'enfant caché derrière les jupons de sa mère. Je m'accroupis face à lui puis lui parle d'une voix douce et calme.

— C'est à toi ?

Il hoche la tête sans dire un mot avec un petit sourire qui s'ouvre sur son visage d'ange.

— Tiens, je te le rends. Évite de le perdre la prochaine fois.

— Merci, dit-il, avant de rejoindre son père pour rejouer cette fois-ci plus calmement.

— Tu es une élève de l'école d'Eden venue passer le test ?

— Oui. J'en profite pour découvrir votre royaume.

— Ah je vois. Mon mari et moi venons d'emménager dans cette maison.

Impossible qu'il s'agisse de la famille de Timéo.

— Ah. Est-il indiscret de vous demander ce qu'il est arrivé aux anciens propriétaires ?

— Euh... Souffle-t-elle à moitié gênée. C'est que je n'ai jamais rencontré les anciens propriétaires, car ils sont morts dans un terrible incendie il y a plusieurs années avec leur enfant.

— Oh c'est une triste histoire.

— Oui c'est terrible.

Après avoir parlé plusieurs minutes avec la gentille dame, je m'éclipse pour rejoindre les autres.

Sang d'ébèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant