Sang d'ébène

Chapitre 35.1 - Le Royaume des Glaces

Dans ce désert sans vie, de neige et de glace, les paysages reflètent d'une subtile alchimie entre les différents milieux : eau, air, glace et terre.

Ces derniers jours, le Royaume des Glaces m'a semblé tout faire pour ralentir ma progression et m'empêcher d'atteindre mon objectif.

Avec l'aide de Timéo et le livre du premier élu, je suis arrivée jusqu'ici. La dague ne devrait plus être loin. Encore fallait-il que je sache son emplacement exact. Malgré mes lectures acharnées, je n'avais encore rien trouvé de nouveau.

Le vent froid souffle continuellement sur le plateau de glace et de neige. Il sculpte la surface blanche tassée en y formant un relief aux formes très particulières.

Des vagues allongées épousent la courbe des vents dominants provenant de l'ouest dans ce secteur. Selon, les mémoires de l'élu, il s'agit de Sastruga.

Sur cet immense plateau blanc, je ne peux compter que sur ma petite boussole. J'avance, à contresens du nord qui se trouve être derrière moi. Timéo me suit de près. Je navigue en fonction des Sastruga, ces dunes de neige haute de cinquante centimètres qui me donnent l'indication des derniers vents dominants. Je dois avancer vers le sud-ouest selon lui pour atteindre le Royaume des Glaces, demeure du maître des ténèbres.

Le chemin est pénible et dangereux. Nous n'avons pas dormi depuis deux jours de suite ayant trop peur de mourir tous deux emprisonnés sous une épaisse couche de neige. J'ai facilement la tête qui tourne dans ce décor morne et j'en perds tous mes repères.

Ni l'un ni l'autre, n'arrivons à utiliser notre maitrise pour faire du feu. Nos mains paralysées par le froid restent engourdies la plupart du temps. J'essaye d'empêcher la propagation des gerçures sur mes extrémités en frottant continuellement, paume contre paume.

Le terrain monte légèrement en vagues géantes. Laissant transparaître que le vent est violent et fort. Il nous est donc difficile de garder le cap. Mes bottines s'enfoncent dans cette neige épaisse et freinent mon ascension. Parfois je reste emprisonnée dans un bloc de glace.

Alors, Timéo est obligé de m'attraper par la taille pour me tirer de toutes ses forces et me sortir indemne de ce piège. À chacun de ses contacts, mon corps se retrouve envahi par une vague de chaleur intense. Ce qui me provoque l'embrasement de mes joues.

Chaque jour, je combats ma fatigue me répétant inlassablement que nous allons voir apparaître un abri de fortune ou mieux encore le château de glace. Siège du maître des ténèbres, mon objectif final.

***

Le soleil est de retour.

Après trois jours de brouillard, de vent glacial, plongée dans le blanc infini, j'ai redécouvert le Royaume des Glaces sous une nouvelle lumière. Le soleil rayonne au-dessus de ma tête dans un ciel bleu azur uniquement parsemé de quelques nuages. La neige tombée ces derniers jours a certes aplani le sol en faisant disparaître la plupart des Sastruga, mais mes pieds semblent encore s'enfoncer dans toute cette neige molle.

Le soleil produit des millions de paillettes multicolores sur la glace. Cette lumière est vraiment magique.

Au départ, j'avais le sentiment de traverser un paysage monotone, mais après plusieurs jours de marche tout me semble bien différent. Qu'on soit en hiver ou en été, le Royaume des Glaces reste couvert d'une neige blanche pure, au givre étincelant au petit matin. Tantôt le froid vif fait son apparition et transforme les Sastruga qui changent de visage jour après jour, m'offrant à chaque lever d'aurore un nouveau décor.

Cependant, il me tarde de voir apparaître la forêt des aiguilles blanches comme l'appelle Timéo. Elle confirmera que nous sommes proches du château de glace.

Soudain, survient une petite brise glaciale qui s'engouffre dans l'espace fin entre ma nuque et mon châle blanc. J'entends Timéo grogner à côté de moi. Le pauvre il n'a pas d'écharpe. Nos mains gelées nous empêchent de faire apparaître une flamme.

D'ailleurs lui comme moi n'avons pas d'habits adéquats pour ce type d'environnement. L'épaisseur de nos manteaux n'est pas suffisante pour nous maintenir bien au chaud. Chaque jour, nous devons combattre le froid glacial avec dextérité.

— Ah. Je meurs de froid, dit-il.

Son souffle d'air se transforme en un nuage de condensation, de vapeur qui s'évapore dans l'air. Je me retourne. Son visage rouge me fixe sérieusement. Il se rapproche.

— Bon sang. Donne-moi ton écharpe, dit-il en me volant mon châle que j'avais soigneusement glissé autour de mon cou.

Je me débats pour l'empêcher. Ses mains glacées frôlent ma nuque. Il réussit à me l'enlever. Je frissonne sur place.

— Vite je me congèle.

Il passe mon écharpe autour de son cou.

— Je croyais que tu ne ressentais pas la douleur ! J'ai froid maintenant, grogné-je en protégeant mon cou avec mes deux mains toutes deux aussi froide.

— Je suis née au Royaume du Feu, je n'ai pas l'habitude du froid.

— Comment oses-tu me prendre mon châle ?

Je renifle.

— Ah j'ai froid. Je suis glacée, dis-je en me massant vivement les bras dans l'espoir de me réchauffer.

Timéo me regarde perdu. La main portant le bracelet tremble. Sa dorure éclatante devient éblouissante. Il pose sa main sur son cœur. Son regard me dévisage désemparé.

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

J'ai l'impression qu'il veut aussi mon manteau.

— Ah non ! Hors de question, dis-je en haussant le ton. Je vais mourir gelée si tu me prends aussi ça. Il ne m'a pas l'air très efficace ce bracelet !

Son regard m'observe avec une telle intensité que cela devient limite gênant.

— Ce n'est pas normal... ah, souffle-t-il. J'ai vraiment un problème.

Il enlève mon châle et le replace autour de mon cou avec précaution.

— Je me congèle... et pourtant je te redonne ton écharpe. Ah... ça n'a pas de sens, tu ne trouves pas ?

Je le regarde sans dire un mot. Il prend soin de me remettre le châle comme s'il avait peur que j'attrape froid.

— Ah. Tu sais quoi ? Mon cœur souffre en ce moment et je réalise quelque chose en te voyant.

Il se rapproche. Nos visages ne sont qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.

— Je souffre le martyre parce que tu as simplement froid. Tu veux que je m'arrache le cœur pour te le montrer ? Ça ne peut être que de l'amour.

Il s'écarte de moi et regarde autour de lui.

— C'est gênant pour nous deux, non ?

Il me montre le bracelet qui persiste à briller de tout son éclat.

— Allez, enlève-le, maintenant.

— Tu me prends pour une idiote ?! Si je te l'enlève, tu ne me protégeras plus du maître des ténèbres et son armée. N'oublie pas, tu restes son espion. Tes vrais sentiments sont contrôlés par ce bracelet. Alors, arrête de croire être amoureux de moi. Tu ne l'es pas et tu ne le seras jamais.

— Rahh, tu pourrais au moins compatir à mon sort. C'est quand même de ta faute si j'ai ce truc de merde accroché au poignet.

— Aide-moi à récupérer la dague d'Athamée et après je réfléchirai à te l'enlever ou pas. C'est promis.

— Entendu. Tu as intérêt.