Chapitre 26.1 - Sentiments contraires

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Mes larmes tombent sur la lettre telle une averse qui s'abat au beau milieu d'une journée ensoleillée. Mon cœur se retrouve submergé dans un torrent de sentiments mélangés. Tristesse, colère, haine, vengeance, tous me rendent confuse et vulnérable. La seule lettre que je venais de recevoir de ma mère m'avait bouleversée au point de l'avoir compressée en boule de papier sous l'effet de la colère.

Comment mon père avait-il pu à la fois l'aimer et la haïr au point de vouloir la tuer ? Comment mon père avait-il pu croire que ma mère en aimait un autre ? Elle était enceinte de moi, n'était-ce pas le plus beau cadeau qu'une femme puisse offrir à l'amour de sa vie ?

Une chose est sûre, la lecture de cette lettre m'avait ouvert les yeux. Je dois empêcher mon père de trouver cette dague d'Athamée. Je remets mon collier autour de mon cou et décide de commencer à lire le livre de l'élu. Cependant, la bougie rend son dernier souffle et s'éteint, me plongeant dans le noir complet. N'ayant pas de bougie de secours, je glisse sous mon oreiller mon livre. Avec regret, je m'endors pensive et pressée de découvrir les mystères qu'il cache dans chacune de ses pages manuscrites.

***

J'entends un boum qui me fait sursauter dans mon lit.

— Luna, tu t'es fait mal ?

— Non, ça va, ma cheville n'est pas cassée, enfin je crois, dit-elle.

Elle fait quelques pas dans ma chambre pour me le confirmer. J'ouvre ma fenêtre. Un souffle d'air frais caresse ma peau nue. Je frictionne mes bras pour me réchauffer. La journée s'annonce fraîche, mais ensoleillée. Le ciel inonde l'horizon de ses couleurs nuancées de bleu. Je m'habille en vitesse suivie de près par Luna. Avant de sortir de la chambre, je scrute mon oreiller.

Lorsque je traverse le réfectoire, un long silence s'installe soudainement. Je sens le poids des regards des centaines de visages tournés vers moi tels des vautours qui surveillent leur proie agonisant de loin avant de la manger. J'aperçois le bras d'Edouard qui s'agite en l'air nous faisant signe de le rejoindre. Mais Luna me retient par le bras lorsque j'avance vers lui.

— Hope, il y a Elios là-bas. Tu viens ?

— C'est que... Edouard.

Elle regarde dans ma direction, Edouard continue d'agiter le bras.

— Ah...

Je perçois dans son timbre de voix un soupçon de morosité. Je sais que son cœur préfère la compagnie du professeur aux cheveux sauvages. D'ailleurs, c'est bien le seul à se mêler aux élèves. Je ne l'ai jamais vu manger avec les professeurs. C'est sans doute son jeune âge qui le pousse à échanger avec nous. Si je me souviens bien, il n'est professeur que depuis cette année. La nostalgie, de s'assoir avec les troisièmes années doit lui manquer. Une habitude qui a du mal à changer à ce que je vois.

— Tu sais quoi, je vois très bien que tu préfères manger avec Elios. Vas-y. Moi je vais manger avec Edouard. Regarde le pauvre, il ne cesse d'agiter le bras pour nous indiquer de venir.

— Oui c'est vrai, mais je doute que son geste me soit adressé, dit-elle en m'adressant un clin d'œil plein de supposition.

— Oh ce n'est pas vrai. Arrête. Tu vas me mettre mal à l'aise.

— Depuis ton départ, il n'a pas arrêté de venir me voir pour savoir comment tu allais. Je pense qu'il a un faible pour toi. Franchement, ça se voit.

— Ah. Euh... c'est que...

— Bon, je te laisse, sinon Elios va partir avant que j'aie eu le temps de lui parler un peu avant les cours. On se retrouve en classe !

— Ah euh oui, à tout à l'heure, bredouillais-je mes yeux rivés sur Edouard.

Les mots de Luna résonnent dans ma tête et m'empêchent d'avancer vers lui. Il faut dire que la potentielle connaissance de ses sentiments me gêne un peu. Il est vrai que c'est un gentil garçon et plutôt mignon par la même occasion ; mais jamais je n'ai eu d'autre pensée à son égard. Ce n'est qu'un bon ami, rien de plus.

J'avance dans sa direction, toujours gênée par les regards insistants des élèves. D'habitude je passe inaperçue, mais depuis mon retour j'ai l'impression qu'il se passe quelque chose derrière mon dos. Lorsque j'arrive au niveau de la table d'Edouard, celui-ci m'adresse un grand sourire comme à son habitude.

— Salut Hope.

— Salut Edouard.

— Tiens. Assois-toi, la place est libre

— Oh merci

Les élèves autour de nous persistent à m'épier sans la moindre gêne.

— Dis-moi, qu'est-ce qu'ils sont tous ce matin à me regarder de travers ? J'ai quelque chose sur le visage ?! demandé-je à Edouard, sur un ton dubitatif.

— Ah ça. C'est que, dit-il en marquant un arrêt. Il y a une rumeur qui circule à ton sujet depuis ton retour de la troisième épreuve et ta soi-disant fugue.

— Une rumeur ? C'est quoi cette histoire ?

L'un des amis d'Edouard ose prendre la parole avant lui.

— Tout le monde pense que tu es l'élue Salvatorebano.

— Hein ?!

Edouard se racle la gorge.

— La faction du feu, enfin je veux dire, Rubys. Elle a raconté à sa classe ce qu'il s'était passé lors de la dernière épreuve au sommet du Mont de l'âme perdue concernant...

Il se gratte la nuque, indécis à terminer sa phrase.

— Ça concerne ton sang.

— Ah.

Maintenant je comprends mieux pourquoi je suis devenue le centre d'attention de toute l'école. Je sens le poids du regard d'Edouard sur moi comme s'il voulait terriblement en savoir plus, mais n'osait pas me demander davantage. À présent, je n'ai plus rien à cacher, car mon but m'amènera à ce dont tout le monde apprenne la vérité tôt ou tard.

— Pour être honnête avec toi, je ne savais pas qui j'étais avant d'arriver ici ; ni même que mon sang n'était pas comme tout le monde jusqu'à ce que je me blesse lors de l'attaque de l'armée rouge au royaume de la Terre.

Je marque un temps d'arrêt juste assez pour reprendre mon souffle.

— Vous devez surement me prendre pour un monstre ?

— Oh non, dirent les garçons en chœur

Avec courage Edouard m'attrape les mains et parle d'une voix calme et apaisante.

— Au contraire, je suis heureux de connaitre l'élue. Tu es quand même la sauveuse dont parle la prophétie.

C'est la première fois que j'entends une autre personne m'appeler la sauveuse hormis mon amie Luna. Ils ne sont pas apeurés, juste surpris de voir que la prophétie n'est pas un mythe ni une légende. Je leur apporte un semblant d'espoir face aux forces obscures qui progressent sur le territoire.

J'observe de loin Luna qui rigole avec Elios. Tout juste arrivé, Timéo s'assoit à côté de lui. Il a repris son masque neutre, sans aucune expression. Parfois je me demande comment Elios arrive à lui parler. Est-il toujours aussi froid en compagnie des autres ?

Sang d'ébèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant