Sang d'ébène

Chapitre 10.2 - La Terre du Feu Sacré

La nuit est tombée il y a plusieurs minutes, je suis en retard pour le dîner. Je cours vers notre gîte, mes cheveux bouclés virevoltant dans la brise légère de fin de soirée. Je traverse trois îlots avant d'arriver au terme de ma course frénétique. Chaque habitant s'attarde devant leur maison. D'un geste puissant et précis, ils allument des torches pour éclairer leurs devantures. Des centaines de lumières apparaissent effaçant la pénombre sur le village.

Tout le monde est pratiquement rassemblé autour du feu de camp. Sans faire de bruit, je rejoins Luna. Mais M. Steel m'aperçoit et fronce les sourcils. Mince. Je détourne mon regard tout en mordillant mes lèvres. Je m'assois à côté d'elle.

— Tu en as mis du temps, dit Luna. J'ai même songé à venir te chercher.

— Euh... Oui désolé. J'ai rencontré une habitante. C'est la propriétaire de la maison qu'épiait Timéo. Elle y habite avec son mari et son jeune fils.

Elle me chuchote à l'oreille.

— Tu penses que c'est la famille de Timéo ?

— Non, car ils habitent dans cette maison depuis quelques semaines. Et le plus triste dans l'histoire, c'est que les anciens propriétaires sont morts dans un incendie.

Luna écarquille les yeux tout en posant sa main sur sa bouche. Tout comme moi, elle reste sans voix face à ma triste nouvelle. Comme quoi, même en maîtrisant le feu, ils ne sont pas à l'abri des incendies dans leur royaume. Le pauvre bébé n'a même pas eu l'occasion de grandir et de pouvoir explorer ce monde.

Une odeur de soupe frôle mes narines. J'attends mon tour pour me servir un bol. Le mélange de pommes de terre, de poireaux et de navets satisfait mes papilles. Luna continue de me raconter des potins sur les nouveaux couples formés durant notre voyage entre les élèves. Deux, originaires de ce royaume et un autre du Temple de l'Air. C'est une vraie commère, celle-là. Toujours la première à savoir ce qui se passe dans notre groupe en matière de sentiments. Même si, concernant son cas, elle navigue en territoire inconnu. Elle se fixe pour objectif de conquérir le cœur de notre plus jeune professeur, le séducteur aux cheveux flamboyants. Assis en face de nous, celui-ci ne cesse de jouer de son regard de braise. M. Wildspirit s'amuse à faire apparaître des formes éphémères. Un phénix, puis une multitude d'oiseaux. Les flammes dansent dans ses mains sans qu'il ne se brûle. La plupart des filles gloussent sous son charme. Mais pas moi. Limite mal à l'aise, je termine en vitesse mon bol puis le dépose dans le bac à vaisselle avec ses semblables. Une fille lave avec rapidité tandis qu'un garçon les sèche avec son pouvoir. Je fais savoir à Luna que je pars faire une petite balade nocturne. Sans détourner ses yeux de son potentiel soupirant, elle hoche la tête pour acquiescer.

Je m'éloigne. De nuit, le village est encore plus austère et monotone. Le volcan endormi ; laisse les fleuves de lave se durcir et se transformer en une roche volcanique noire au fond. Le royaume baigne dans une obscurité totale, dont seule la lumière pure de la lune m'aide à surmonter mon malaise.

Je m'aventure sur le même chemin que cet après-midi et tombe de nouveau sur cette maison. Encore une fois, je l'aperçois. Mais cette fois-ci, il est assis par terre. Son buste plaqué contre le tronc de l'arbre. Pour le coup, j'évite de le surprendre. Je m'assois, quelques mètres avant, dans un carré de lichens délimités par un massif de fougères. Je me couche par terre pour camoufler ma présence. Je l'observe, ses yeux rivés sur son carnet. De temps en temps, celui-ci relève la tête en soupirant, et se gratte les cheveux. Parfois, il m'arrive de penser que j'aimerai décrypter cet homme mystérieux ; qui tantôt m'énerve tantôt me fascine par sa beauté froide indéchiffrable. Je guette ses moindres mouvements puis finis par somnoler sur place. Ma tête vrille de gauche à droite. Je vais finir par dormir dehors. Je me relève en douceur, mon esprit à moitié dans les nuages. Mes yeux me piquent.