Chapitre 31.1 - L'attaque surprise

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Un grondement violent me fait sursauter. Des bruits de pas font craquer le parquet de façon anormale. Déboussolée, je soulève ma couette et m'assieds. Mes yeux se plissent au contact d'une lumière intense.

— Hope lève-toi ! cri Luna un chandelier à la main.

Je me frotte les yeux.

— Mais que se passe-t-il ?!

Son visage d'ordinaire souriant est noyé sous ses larmes.

— Mon village... mon peuple... attaquée... cette nuit.

Je me lève brusquement.

— Calme-toi. Respire. Et articule, je n'arrive pas à te comprendre.

Elle renifle plusieurs fois. Sa respiration revient à la normale plus lentement que je ne l'aurais souhaitée.

— L'armée rouge a attaqué mon peuple cette nuit.

— Comment ?!

— C'est le chaos. Auggie nous demande de descendre en vitesse dans l'amphithéâtre.

— D'accord. Je me dépêche !

J'enfile rapidement mes habits sous les sanglots étouffés de mon amie. Le dortoir est devenu un champ de bataille. Toutes les filles courent dans tous les sens. Certaines pleurent, d'autres tentent de les rassurer. La menace du maître des ténèbres est à nos portes.

Nous descendons rapidement parmi la foule jusqu'à l'amphithéâtre. Les conversations fusent créant un brouhaha assommant. Nous nous asseyons au fond. Le directeur s'avance devant le pupitre. Derrière lui, les professeurs nous fixent sérieusement.

— Un peu de silence s'il vous plaît ! dit-il sur un ton anormalement brutal. Dans une missive en urgence, le prophète Thomas m'a fait part d'une vision très alarmante. Cette nuit, la Terre des Nymphes a été sauvagement attaquée par les sbires du maître des ténèbres. Un grand nombre d'entre vous se demande comment vont leurs familles. Malheureusement, nous n'avons pas plus d'information. C'est pourquoi, dès ce soir, l'ensemble de notre école part en direction du Royaume de l'Eau pour apporter notre aide et sécuriser la frontière. La menace du maître des ténèbres ne cesse de frapper à notre porte et nous devons à tout prix l'arrêter.

Il se tourne vers les enseignants.

— Chaque professeur aura sous la tutelle sa faction respective. Faites vos bagages, nous partons dans une heure.

Sur ses mots, le directeur se retire. Le vacarme assourdissant reprend. Tous les élèves s'empressent vers la sortie. D'une main ferme, j'agrippe le bras de Luna encore affaiblie par un trop plein d'émotions. Mon cœur se serre. J'espère que sa famille va bien.

***

La cour ressemble à un champ de bataille. La majorité des élèves sont rangés les uns derrière les autres sur deux rangés prêtes pour le départ. De loin, j'aperçois mon fidèle Blacky avec sur son dos une dizaine de bagages comme tous ses semblables. Impatient, celui-ci martèle le sol.

M. Steel grimpe sur lui. Survient un bruit sourd, le directeur ouvre la marche suivit de près par les enseignants. Contrairement à la dernière fois, nous devrons faire le chemin à pieds, l'école ne dispose pas d'une écurie assez grande pour accueillir une cavalerie d'étalons.

Une vingtaine de torches allumées éclairent notre chemin. Nous avançons en silence. Seul le bruit de nos pas fait écho dans la pénombre de la Forêt d'Eden. Même dans l'obscurité, je le vois. Ses yeux noirs se posent régulièrement sur moi. Son manteau camoufle le bracelet maudit. Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de parler à M. Steel de Timéo. Il va surement être très en colère lorsqu'il apprendra ce que j'ai fait sans son autorisation mais je m'en fiche. Même si je pouvais revenir en arrière, je ne le ferais pas. Il est du côté de ceux qui ont pillé un village. Il me dégoûte autant que je l'aime. Et ce sentiment m'énerve !

Luna soupire. Aucun son n'est sorti de sa bouche depuis qu'elle m'a réveillé. Son visage est livide. Des cernes ont creusé sa peau. Ses yeux devenus rouges fixent le sol avec détresse.

— Ne t'inquiète pas. Je suis sûre que toute ta famille va bien.

Tel un fantôme, elle erre dans la nuit et ne prononce pas un mot.

***

Le ciel est sombre, recouvert par une épaisse couche de fumée qui irrite mes poumons. Nous avions marché jour et nuit sans nous arrêter pour dormir afin d'atteindre le village. Aujourd'hui désert et détruit. Les maisons colorées ont pratiquement toutes sombré dans l'océan. Certaines encore sur pieds, menace de s'écrouler en un tas de cendres fraîches.

Ce paysage maritime que j'avais connu si paisible ne ressemble à rien.

La marée ramène sur la plage quelques cadavres et tache le sable blanc d'un rouge vif. La majorité des habitants ont les vêtements déchirés. Leurs corps sont lacérés de violents coups de couteau. Lorsqu'ils nous voient arriver, leurs visages s'illuminent d'un maigre sourire qui me glace le sang.

Luna m'empoigne fermement le bras. Ses ongles s'enfoncent un peu plus dans ma chair. Je pousse un petit cri, surprise par son geste. Dans son regard, je vois du désespoir. Ses yeux fixent les corps sans vie recouverts d'un linge propre. Sur le rivage, une femme est accroupie et serre la main d'un blessé dont les cheveux grisonnant se mêlent au sable. Puis, Luna lâche prise et se précipite dans leur direction. C'est alors, que je comprends. Mon cœur me serre. C'est sa grand-mère.

J'avance lentement dans le sable étrangement froid. Avant que j'aie le temps de rejoindre mon amie, Moorea recouvre le corps sans vie d'Oceana. Luna tombe à genoux, laissant sa si jolie robe bleue se teinter de rouge. Même la marée n'arrive pas à nettoyer toute la berge. Les flaques de sang frais se mêlent à la mousse et aux algues. Son odeur puissante me dégoûte. Je n'arrive plus à me retenir. Je vomis mes tripes. J'ai envie de pleurer, mais je me retiens de toutes mes forces pour Luna dont les larmes déferlent en torrent sur son visage pâle. 

Que dire dans ce moment-là ? 

Je lui avais dit de ne pas s'inquiéter alors qu'à l'autre bout de la contrée sa grand-mère rendait son dernier souffle. Je n'ai pas le droit d'être à ses côtés, car c'est mon père l'auteur de ce crime. Je m'éloigne en silence perdue dans mes pensées.

— Ça ne va pas ? me lance une voix masculine familière.

Ses yeux noirs me fixent.

— Laisse-moi tranquille Timéo. Tu es bien la dernière personne à qui j'ai envie de parler.

Sang d'ébèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant