Tout était flou dans sa tête et ses souvenirs des dernières heures étaient décousus et imprécis, si bien qu'on ne pouvait pas vraiment dire qu'elle se rappelait de ce qu'il s'était passé durant l'expédition.
Elle se souvenait encore relativement bien de la séparation de leur groupe, d'elle et Gabriel d'un côté et le reste de leurs compagnons de l'autre, du cinéma abandonné, de Gabriel essoufflé sur l'un des sièges. A partir de là, un brouillard flou transformait ses souvenirs. Il en émergeait néanmoins un genre de panique et l'appel de sa magie mais surtout, le son de la détonation qu'il lui semblait encore entendre résonner à ses oreilles, la douleur explosant dans son abdomen et les yeux blancs écarquillés de Sylvain.
La balle l'avait touchée, elle en était certaine, elle l'avait sentie traverser et fendre sa chair sans pitié, détruisant impitoyablement tout ce qui se trouvait sur son passage. En revanche, elle n'avait pas perçu l'impact du sol dans son dos mais il lui semblait pourtant bien avoir chuté comme elle avait eu la sensation très nette que ses jambes ne la portaient plus. Peut-être que Gabriel avait hurlé son nom aussi, elle n'en était pas très sûre.
Le sang chaud et visqueux s'était répandu sur sa peau en imbibant ses vêtements, cette sensation était gravée dans son esprit, elle s'en souvenait parfaitement. Son sang s'écoulant de sa blessure...
Son sang, la source de la puissance de ses pouvoirs... Son sang qui s'échappait... Alors, était-elle morte ?
Ça semblait possible et envisageable. S'était donc ainsi que ça se terminait pour elle ? Abattue par un ancien ami à qui elle avait fait confiance ?
C'était déjà fini alors qu'elle avait trouvé sa place en ce monde seulement récemment et qu'elle était chaque jour plus proche de Gabriel, alors qu'elle croyait en quelque chose ?
Elle en ressentait un sentiment d'injustice et de gâchis, d'inachevé.
Évidemment, elle évoluait dans un environnement dangereux où le risque d'être tué était élevé depuis trois ans mais elle n'avait pour autant jamais réellement prévu sa mort comme une véritable possibilité. Elle se sentait comme brisée en centaines d'éclats qui se dispersaient à présent qu'elle prenait conscience que tout se stoppait ici pour elle.
Il s'agissait de quelque chose de difficile et douloureux à admettre, qu'on ne voudrait jamais avoir à admettre.
Les larmes brulèrent les yeux d'Eléa.
Des larmes ? Pleurait-on lorsqu'on était mort ?
La jeune femme en doutait sincèrement. Peut-être n'était-elle pas morte finalement et qu'on avait pu la sauver. Prise en charge à temps, cette prouesse était tout à fait réalisable grâce à la magie.
Se défaisant donc de l'idée qu'elle était possiblement morte, Eléa tenta de bouger, pas un grand mouvement, juste remuer les doigts de sa main droite. Comme elle réussit à les agiter et qu'elle sentit la texture de ce qui ressemblait à des draps en dessous, la jeune fille devina que, finalement, elle n'était sûrement pas morte.
On avait dû la guérir, certainement grâce à une intervention de Gabriel.
Reprenant lentement conscience de son propre corps et de ses sensations, elle se découvrit étendue sur un lit, recouverte d'une couverture jusqu'aux épaules. Elle peinait cependant à percevoir ses jambes, encore engourdies à cause du choc probablement, et elle sentait une sorte de douleur sourde au niveau de son ventre, vestige de la balle qui y avait pénétré. Loin d'être insupportable, ça se rapprochait de ce que provoquait une crampe.
Elle était vivante !
Tout ce qu'elle regrettait et ce sur quoi elle se lamentait il y avait seulement quelques instants, elle allait pouvoir l'accomplir. Elle pourrait continuer à combattre aux côtés de ses camardes, à travailler ensemble à l'instauration d'un changement, construire quelque chose avec Gabriel, toutes ces choses, tous ces projets auxquels la mort l'aurait arrachée.
Le soulagement qui la submergea en une vague intense était indescriptible tant il était puissant. Cette fois, les larmes qui perlèrent à ses cils n'étaient nullement de détresse, de tristesse et de regret, bien au contraire.
Sa seule envie était de quitter ce lit pour trouver Gabriel et l'étreindre et aussi passer du temps auprès de ses amis, profiter de leur présence, du fait qu'ils soient tous en vie actuellement. Évidemment, elle n'oubliait absolument pas la gravité de la situation, où eux et la ville se trouvaient mais, juste pour quelques minutes, elle avait certainement le droit de se laisser emporter par l'euphorie de se découvrir en vie, avant de replonger dans le chaos ambiant.
Ayant cependant besoin d'une dernière vérification, d'une assurance supplémentaire, elle glissa sa main jusqu'à son abdomen, qu'elle trouva par ailleurs nu – on avait dû lui retirer son haut qui devait être imbibé de sang – pour palper sa peau où elle ne découvrit nulle trace de blessure ou de cicatrice, preuve qui confirmait qu'elle avait été soignée par magie.
Le soulagement gonfla de nouveau au creux de sa poitrine.
A présent qu'elle avait pu déterminer quel était son état et qu'un peu d'énergie lui était revenue, Eléa ouvrit les paupières.
Comme elle s'y attendait, premièrement car c'était tout à fait logique et car elle avait identifié la pièce à l'odeur des produits et de la veste en cuir de Belladone, elle se trouvait à l'infirmerie.
Leur base étant située en sous-sols, aucune fenêtre ne perçait les murs, elle ne pouvait donc pas se fier à la luminosité pour déterminer l'heure et elle n'avait pas non plus d'horloge à regarder et n'avait par conséquent aucune idée du temps qu'elle avait passé inconsciente dans ce lit.
En revanche, il y avait quelqu'un auprès de qui elle pouvait se renseigner. Installé sur une chaise métallique avec les pieds croisés sur le matelas de l'autre lit, Salim somnolait, le menton ployant sur sa poitrine.
Ces minutes de semi-conscience où elle avait cru à sa propre mort l'avaient renvoyée durant quelques minutes trois ans auparavant, lorsque l'institut Belforde existait encore.
Cette époque étant revenue s'afficher dans son esprit, elle était frappée par l'évolution de Salim. Ce n'était pas seulement physique, bien que ses cheveux aient poussé jusqu'à ses épaules et qu'il ne dissimule plus ses yeux derrière ses lunettes aux verres teintés, qui avaient d'ailleurs terminées écrasées sous le talon de leur ancien propriétaire qui souhaitait ainsi être certain de ne plus jamais fuir en revenant à son attitude d'avant. Le plus grand changement résidait dans son comportement.
En majeure partie grâce à l'influence de Raphaël, avec qui il était en couple depuis un peu moins de trois ans, le jeune homme, autrefois si antipathique et impossible à approcher, plus indomptable qu'un chien sauvage, était devenu beaucoup plus proche de ceux qui l'entouraient, notamment les anciens de l'institut Belforde.
Il ne cherchait plus à éviter systématiquement le moindre contact, bien qu'il restait du genre à ne pas prendre les autres dans ses bras ni même à être tactile. Par ailleurs, il était devenu une personne sur qui on pouvait compter et se reposer, à l'avis souvent utile, bien qu'il le donne souvent avec son cynisme et son ton direct habituels.
Étrangement, alors qu'elle ne l'appréciait guère du temps de l'institut, en grande partie à cause de son comportement envers leurs camarades, en particulier Gabriel, depuis qu'il s'était "amélioré", Eléa avait noué des liens plutôt forts avec lui. En même temps, dans des circonstances comme celles d'une guérilla où ils se trouvaient actuellement, il était important et même primordial de pouvoir compter sans méfiance sur ses compagnons.
Elle n'était donc pas surprise de le trouver en train de veiller sur elle, bien qu'il somnolait davantage qu'autre chose en ce moment.
Du moins, ce fut ce que pensa Eléa en le découvrant ainsi, les yeux clos, sur la chaise, mais, dès qu'elle se redressa sur ses coudes avec difficultés, il rouvrit les paupières en relevant la tête.
Constatant qu'elle était réveillée, le jeune homme lança, la mâchoire appuyée sur son poing :
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Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]
ParanormalTrois ans se sont écoulé depuis la mort de Lucille. Traumatisé par celle-ci, Victor a refusé de se rendre et Saint-Théophile est aujourd'hui une véritable zone de non-droit désertée par sa population où s'affrontent les suprématistes magiciens, men...