Chapitre 22 - Sans larme [2/2]

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/!\ Ce chapitre parle de pulsions suicidaires et de dépression ! Si le sujet vous heurte, peut-être vaut-il mieux que vous le passiez !!! /!\

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Ce n'était pas de confier Sophie à Roxanne qui dérangeait Martial, il avait constaté que la jeune femme savait se montrer responsable lorsque ça concernait les enfants et qu'elle ne ferait rien qui les aurait mis en danger ou juste les aurait incommodés. Le problème était qu'elles devraient faire le trajet à pieds or, par les temps actuels, deux magiciennes, dont une enfant de huit ans, seules dans les rues de la ville seraient fort tentantes à prendre pour cible pour certains, et il préférait ne pas trop accabler Roxanne de tâches comme elle était, pour ainsi dire, en période de convalescence.
La jeune femme acquiesça néanmoins sans rechigner et Sophie sembla ravie d'apprendre qu'elle rentrerait en compagnie de Roxanne, inconsciente des dangers possibles que redoutait Martial.
Ce dernier ramena les enfants en classe puis l'après-midi se déroula tranquillement sans accroc, Martial plongé dans ses différents documents pour préparer son rendez-vous, ce qui confirmait que c'était en rapport avec sa situation, et Roxanne allongée sur le canapé devant les programmes télévisés de l'après-midi, quelque peu sonnée, probablement par les symptômes de sevrage qui continuaient à l'agiter de longs frissons difficilement contrôlables.
Martial partit pour son entretien en rappelant à Roxanne d'aller récupérer Sophie dans une heure. La jeune femme grommela qu'elle n'oublierait pas, trouvant tout de même vexant qu'il se sente obligé de vérifier qu'elle serait responsable.
Tenant donc à lui prouver le contraire, qu'elle pouvait respecter un horaire, elle se rendit en avance devant le portail de l'école primaire à plusieurs rues de l'immeuble où vivait le couple de policiers.
Elle douta que ce fut réellement une bonne idée lorsqu'elle se retrouva à attendre sur le trottoir parmi six parents qui la dévisageaient en échangeant quelques paroles à voix basse et, même si elle ne capta pas les mots prononcés, Roxanne devina aisément de quoi il était sujet, que ce soit des critiques sur son apparence de droguée en manque de part ses tremblements impossibles à calmer ou ses yeux chocolat qui, lorsqu'on le savait, indiquaient sa nature de magicienne.
En effet, la rumeur selon laquelle Monsieur Carmody et Mademoiselle Guyon avaient recueilli chez eux une ancienne pensionnaire de l'institut Belforde s'était répandu parmi les quelques résidents du quartier encore sur place.
Roxanne n'était cependant pas du genre à s'excuser pour ce qu'elle était, magicienne ou addict, ce qu'elle avait toujours assumé malgré les avis désapprobateur, ni à tenter de s'effacer pour éviter les jugements, surtout ceux des personnes dont elle se moquait éperdument de l'opinion à son égard. Elle soutint donc fermement les regards, les faisant cesser juste avant que les enfants ne sortent de classe pour se ruer vers leurs parents.
Sophie enlaça Roxanne avec un grand sourire alors qu'elles s'étaient vu il y avait quelques heures. Lui rendant son sourire, Roxanne la prit par la main pendant que la petite commençait à lui raconter joyeusement le déroulement de son après-midi alors qu'elles prenaient la direction de l'appartement mais, alors qu'elle s'extirpait de l'attroupement formé devant le portail, une poigne solide se referma sur le bras de Roxanne, la retenant.
Se retournant vivement, elle découvrit un homme au visage hostile dont le garçon se dissimulait derrière ses jambes. Ne se démontant nullement ni ne paniquant, Roxanne baissa les yeux sur ces doigts qui comprimaient son bras et, les relevant sur le propriétaire, elle demanda d'un ton neutre :

« Y a un problème ?
- Ouais : vous. On veut pas de magiciens ici, avec nos enfants.
- Et moi, j'aimerais ne pas avoir à croiser des gueules de cons mais je vous tolère alors prenez exemple sur moi. »

Là-dessus, Roxanne se dégagea sèchement et reprit son chemin en entrainant Sophie, qui riait doucement de la réponse de Roxanne.
Cette dernière demanda à la petite de ne pas répéter ce qu'elle venait de dire à Martial ou à Julie. Si ils découvraient que Sophie avait élargi son vocabulaire ordurier à cause d'elle, elle allait rencontrer quelques problèmes mais Sophie lui assura qu'elle se tairait. Roxanne lui ébouriffa affectueusement les cheveux, la remerciant. La tension qu'avait provoqué l'intervention de l'homme retomba rapidement et elles reprirent paisiblement leur conversation sans plus s'en soucier.
Alors qu'elles venaient de changer de rue, suivant le chemin le plus court pour rentrer, préférant s'attarder le moins possible à l'extérieur, Roxanne s'immobilisa, stoppant subitement dans sa marche. Surprise, Sophie lui demanda ce qu'il lui arrivait en lui secouant doucement le bras pour tenter de la faire réagir, plutôt inquiète.
Ne voulant pas qu'elle s'angoisse, probablement inutilement par ailleurs, Roxanne lui sourit, d'une façon tirée mais Sophie ne le remarqua pas, trop jeune, en lui assurant que tout allait bien et elle reprit sa marche mais elle se tenait à présent aux aguets, nettement moins sereine qu'il y avait seulement quelques secondes.
En entrant dans cette rue, elle avait senti une lourde atmosphère s'abattre sur elle, comme si un danger planait en ces lieux mais ça n'avait aucun sens. La rue était déserte et tranquille, sans personne, la même qu'elle avait emprunté à l'aller sans aucun problème ni incident. Elle ignorait si le manque pouvait créer un sentiment de paranoïa subite mais ça lui paraissait envisageable.
La sensation de danger persista, lui hérissant l'échine, l'empêchant de se concentrer sur autre chose et la forçant à se focaliser dessus, mais elle fit bien, même si ce fut malgré elle, car, sur ses gardes, elle perçut la concrétisation de ce danger juste quelques secondes avant qu'il ne les vise. Entendant un bruit derrière elle, elle se précipita vers Sophie, la protégeant, et elle l'entraina prestement dans un garage abandonné à la porte entrouverte qui les protégea des premiers coups de feu.
S'aplatissant au sol tout en couvrant Sophie de son corps, faisant bouclier, Roxanne jura pendant que la petite criait, terrifiée.
Apparemment, l'homme devant le portail n'était pas le seul à désapprouver la présence de magiciens dans les parages. L'influence des anti-magiciens semblait croître en ville mais, pour l'instant, ce n'était pas le problème de Roxanne.
Pour le moment, sa principale préoccupation était de trouver comment se sortir de là or, les solutions n'étaient pas nombreuses, au contraire, elles paraissaient totalement et parfaitement piégées. Les tirs trouaient la porte en bois qui les abritait, projetant des éclats en tous sens, les empêchant de se redresser et donc de se déplacer.
La solution aurait donc été d'attendre que les tirs cessent mais impossible de savoir dans combien de temps ils s'arrêteraient, certainement lorsque les tireurs seraient à court de munitions et, lorsque cela se produirait, leurs attaquants les attendraient sans aucun doute à l'extérieur, prêts à les achever, profitant du fait qu'elles seraient affolées et déstabilisées.
Le piège semblait parfaitement refermé sur elles.
Roxanne aurait pu user de ses pouvoirs pour désarmer et neutraliser ceux qui les prenaient ainsi pour cibles mais, à l'aveugle, sans savoir où viser et comment les atteindre, impossible.
Sans compter que c'était également risquée comme l'action serait susceptible de se retourner contre elles, or, leur situation était déjà suffisamment critique sans en rajouter davantage. L'usage de sa magie était donc entièrement compromis. C'était la même chose pour celle de Sophie, inutilisable sans visuel, surtout que la fillette était bien trop terrifiée pour agir.
Malgré la recherche d'une échappatoire, elles paraissaient coincées quoi qu'elles fassent.
En un sens, Roxanne s'en moquait. Depuis un moment maintenant, vivre ou mourir ne faisant plus grande différence pour elle. Tout ce qu'elle savait était que vivre était douloureux et qu'elle s'interrogeait de plus en plus sur la pertinence de continuer à le faire. Dans cette optique, elle ne voyait pas vraiment de problème à se relever et recevoir plusieurs balles pour en finir mais il y avait Sophie et il n'était pas question qu'elle l'abandonne dans de telles circonstances.
Il fallait qu'elle trouve un moyen de la sauver, n'importe lequel.
En retirant sa propre survie de l'équation, Roxanne commença à entrevoir une solution. Elle savait que le poste de police ne se situait pas très loin, Sophie pourrait y être rapidement en courant, il se trouvait dans une direction opposée à celle des tireurs et ces derniers n'oseraient pas l'y poursuivre.
Au fond du garage s'ouvrait une fenêtre plutôt étroite mais pas suffisamment pour empêcher une fillette de s'y glisser et elle pourrait y accéder en s'aidant de l'établie poussé contre le mur.
Il lui suffisait de quelques secondes pour quitter ce garage, ensuite, elle ne serait plus exposée aux balles et pourrait facilement gagner la sécurité du poste de police mais, pour ce faire, elle devait bénéficier de ces quelques secondes de répit. C'était le rôle que Roxanne s'attribuait : créer une diversion en faisant d'une pierre deux coups : permettre à Sophie de s'échapper sans blessure et se délivrer elle-même.

« Ecoute, Sophie, je vais sortir. Dès que je serai dehors, toi, tu vas sortir par la fenêtre et tu vas courir jusqu'au commissariat, tu vas aller trouver Julie, d'accord ?
- Mais... Roxanne, tu...
- T'en fais pas. Fais juste ce que je te dis et va trouver Julie. Tu me fais confiance ?
- Ou...oui...
- Alors fais ce que je te dis, allez. »

Sophie acquiesça faiblement, effrayée et ayant peur pour Roxanne mais elle obéirait.
Rassurée qu'elle puisse s'en sortir, Roxanne serra la petite dans ses bras puis, se détachant d'elle, elle rampa sous les balles vers la porte pendant que Sophie en faisait de même dans la direction opposée, se dirigeant  vers la fenêtre. D'un coup de coude, elle écarta le battant de la porte déjà entrouvert, se dégageant un passage.
Les tirs cessèrent un instant, les tireurs attendant certainement de voir ce qu'il se passait, mais Roxanne se doutait qu'ils reprendraient bien vite si rien ne bougeait. Sans perdre de temps, Roxanne s'avança dans l'ouverture où elle se redressa, s'exposant totalement, mais elle n'avait pas peur.
Pas de regrets ou de larmes.
Pas de larmes, pas même lorsque la balle la traversa et qu'elle s'écroula à terre.

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant