Se réveiller était difficile, pourtant, rien de particulier ne l'avait tiré du sommeil. Il se réveillait de lui-même, mais c'était compliqué ce matin, à cause de l'angoisse surtout.
Cette angoisse terrible accompagnée d'un non moins terrible sentiment d'impuissance, d'un profond désarroi, l'avait poursuivi même durant son sommeil qui avait été parcouru de cauchemars où le corps ensanglanté et inerte d'Eléa n'avait cessé de revenir.
À ce souvenir douloureux, Gabriel se réveilla complètement d'un coup subit. Il se redressa sur le matelas, la respiration haletante.
Comment avait-il pu s'endormir comme cela alors qu'Eléa était à l'infirmerie, inconsciente, en train de se remettre d'une blessure qui avait de peu manqué d'être fatale ? Comment avait-il pu sombrer dans le sommeil ainsi au lieu de veiller sur la jeune fille aux yeux rouges – des yeux rouges qui auraient pu se fermer définitivement il y avait quelques heures seulement –, de prendre soin d'elle ?
Dans ces circonstances de guérilla perpétuelle, la vie était plus instable et fragile. Au moindre combat, on risquait de la perdre, tous le savaient sans pour autant en avoir véritablement conscience, mais cette idée avait frappé brutalement Gabriel après "l'accident" d'Eléa. À présent, il savait qu'il aurait pu perdre quelqu'un à tout instant, y compris Eléa, ce qu'il n'aurait pas supporté. Il refusait donc de gaspiller en dormant un temps durant lequel il aurait pu être avec les personnes qui comptaient pour leur faire comprendre à quel point elles étaient importantes pour lui.
Il s'était endormi pendant qu'Eléa souffrait !
Tout le monde lui avait, certes, répété qu'il était bouleversé, traumatisé et épuisé et qu'il avait donc autant besoin de repos qu'Eléa mais il se sentait néanmoins coupable de l'avoir abandonnée en dormant plusieurs heures.
Ne s'attardant pas davantage en s'auto-flagellant mentalement, le jeune homme alla pour quitter le lit et se précipiter hors de la petite pièce aménagée en chambre – toutes les pièces inutilisées de taille réduite du hangar sous-terrain avaient été aménagées comme des chambres – mais ce qu'il découvrit à côté de lui le retint soudainement. Étendue à côté de lui, Eléa dormait, une main sous la tête.
D'abord surpris, Gabriel soupira de soulagement, rassuré de constater qu'elle semblait bien se porter, même dans son sommeil. Elle avait dû sortir de son inconscience à l'infirmerie et venir le rejoindre dans la chambre que tous deux partageaient, ou alors quelqu'un l'y avait amenée. Dans tout les cas, elle avait été à ses côtés pendant qu'il s'inquiétait en dormant.
N'ayant plus de raison de se rendre à l'infirmerie, Gabriel se rallongea en passant tendrement une main dans les cheveux d'Eléa.
Il y avait longtemps qu'elle ne les organisait plus en mèches ébouriffées avec du gel. Soigner son apparence était devenu plus que largement secondaire ces derniers temps. En revanche, elle avait continué à les teindre en cassis foncé durant quelques temps. Aujourd'hui, seules ses pointes conservaient cette teinte alors que le reste avait repris sa couleur châtain foncé naturelle. Ils étaient aussi plus longs qu'avant, comme il était difficile pour eux d'entretenir une coupe de cheveux, et frôlaient à peine le sommet de ses épaules.
Terminant sa caresse dans les cheveux de la jeune femme, Gabriel souleva la couverture pour vérifier son ventre, même si il connaissait plus que parfaitement l'efficacité de la magie de la guérison. Ne portant que son soutien-gorge, blanc à dentelle rouge foncé, elle exposait son ventre bronzé et il ne présentait aucune trace de blessure, parfaitement guéri. Comme il s'y attendait.
Gabriel hocha doucement le menton, soulagée. Son angoisse s'apaisa sans pour autant disparaître complètement. Dans de telles circonstances, il était impossibles d'être parfaitement serein, il y avait toujours une appréhension ou une inquiétude en arrière-plan.
Le jeune homme remonta la couverture sur Eléa et, tout en prenant grand soin à ne pas la déranger dans son sommeil, il la ramena doucement contre lui en l'étreignant avec délicatesse. En cet instant, il se sentait calme et il voulait simplement profiter de pouvoir serrer Eléa dans ses bras. Il ne put cependant savourer ce moment bien longtemps car on toqua à la porte.
Ravalant une certaine contrariété, Gabriel reposa précautionneusement Eléa sur le matelas à côté de lui et se leva en veillant à ne pas la déranger. Passant rapidement sa main dans ses longues mèches rousses, il s'efforça de se rendre plus présentable et entrouvrit la porte, toujours pour ne pas risquer d'importuner le sommeil d'Eléa.
Dans le couloir, il trouva la responsable de l'infirmerie, à ce poste de par sa connaissance des produits pharmaceutiques et des symptômes des maladies, Belladone. Toujours égale à elle-même elle arborait un pantalon lacéré, un t-shit bleu hussard sous un veston en simili-cuir, des cheveux, rasés sur les deux côtés du crâne pour ne conserver une longueur qu'au milieu et à l'arrière, réunis en un épais chignon, des anneaux aux oreilles et un maquillage foncé très marqué.
Penchant légèrement la tête sur le côté, elle examina l'allure de Gabriel, autrement dit, ses cheveux désordonnés, ses traits encore marqués de la veille et sa tenue qui se résumait à son pyjama, d'un œil critique mais elle n'émit aucun commentaire, pas verbalement en tout cas.
À la place, elle annonça directement, comme à son habitude :
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Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]
FantastiqueTrois ans se sont écoulé depuis la mort de Lucille. Traumatisé par celle-ci, Victor a refusé de se rendre et Saint-Théophile est aujourd'hui une véritable zone de non-droit désertée par sa population où s'affrontent les suprématistes magiciens, men...