Chapitre 13 - Reprise des opérations

46 9 9
                                    

Trois jours ne furent pas de trop pour que chacun se remette et réorganise ses pensées après l'événement qui avait conduit au "renvoie" d'Erika par Victor.
Suite à cet incident fort perturbant, l'ambiance au quartier général des suprémacistes avait été pesante, comme si respirer était devenu difficile. Beaucoup se sentait mal après cette découverte de la folie et des crimes d'Erika, bien que seuls les "généraux" soient parfaitement au courant de chaque détail de cette morbide histoire, mais l'attitude choquée et fortement préoccupée de ces derniers suffisaient à influencer l'humeur de tous en se répercutant dessus.
Dans ce sentiment pesant qui planait, il n'y avait pas uniquement le choc de découvrir qu'Erika n'était pas juste une fille étrange à l'humour perturbant mais bien une véritable psychopathe, dont les visions de mort causées par ses pouvoirs semblaient avoir déséquilibré son esprit à un point tel qu'elle pensait elle-même être la Mort, la Grande Faucheuse en personne, mais aussi de nombreuses questions inquiétantes que cette information leur faisait se poser.
Combien de victimes Erika avait-elle fait, et combien en se servant de leurs objectifs ? Quand avait-elle basculé de la sorte ? Comment avaient-ils pu ne pas le remarquer avant d'être brutalement confrontés à cette effroyable réalité ? Où était-elle à présent qu'ils l'avaient bannie ?
Auraient-ils dû réagir autrement car, à présent, elle était en totale liberté sans personne pour la contenir un minimum, comme ça avait été le cas au sein de la faction ? Mais qu'auraient-ils pu faire exactement ?
Prévenir la police était impossible sans se dénoncer eux-mêmes. Par ailleurs, ils n'avaient aucune preuve à présenter. Sans compter que Victor, et d'autres, refusait catégoriquement cette possibilité, ne permettant jamais à la moindre chose de menacer son but.
Qu'auraient-ils donc pu faire ? Les choses auraient-elles pu être différentes si ils s'en étaient aperçu plus tôt ? Comment auraient-ils pu s'en apercevoir plus tôt ? Était-ce qu'ils n'avaient pas pris au sérieux les indices qu'Erika avait pu fournir à propos de son état instable ? Comment auraient-ils pu simplement la croire ?
A moins que le problème n'ait pas tant été de le remarquer que de l'accepter. Peut-être que, au moins inconsciemment, ils avaient parfaitement compris depuis quelques temps déjà la dangerosité d'Erika mais qu'ils avaient refusé de la voir réellement car, pour l'objectif qu'ils poursuivaient, ils avaient besoin d'elle.
Serait-il donc possible qu'ils aient tous fermé les yeux en un accord tacite sur la folie d'Erika pour la réussite de leur but, qu'ils avaient préféré feindre que rien n'était pour ne pas risquer de desservir leur objectif, pour éviter de menacer la réussite de leur idéal ?
En ce sens, ils auraient donc laisser Erika dans sa folie meurtrière car la jeune fille était utile à la faction. Seulement, aujourd'hui, alors que la vérité avait éclaté sous leurs regards dans toute son horreur, ils n'avaient plus pu la nier inconsciemment.
Auraient-ils donc une part de responsabilité dans cette histoire, ne pensant qu'à leur objectif ?
Il y avait donc un sentiment de culpabilité dans ce profond malaise qui pesait lourdement sur eux. Chacun s'efforçait cependant de faire face et de supporter cette atmosphère difficile, surtout les généraux, chacun à sa manière.
Liroy enchaînait les plaisanteries sur l'incident et sur d'autres sujets, Alana s'interdisait de trop y réfléchir en se surchargeant de toutes les tâches qu'elle pouvait trouver, Aurore s'empoisonnait avec tous ces questionnements dont elle ne parvenait à se détacher qu'en s'entrainant avec sa magie jusqu'à arriver au bord de l'épuisement en se focalisant sur l'idée de battre Léo, Victor réorganisait tout son fonctionnement, le porte-clé de Lucille serré dans son poing. Restaient Sylvain et Lavande dont les réactions dans les circonstances troublées et perturbées détonaient et différaient de celle des autres.
En ce qui concernait le premier, déjà traumatisé par la blessure qu'il avait involontairement infligée à Eléa, il avait été encore plus affecté que n'importe qui dans cette histoire. D'ailleurs, heureusement que le garçon n'avait pas assisté à la conversation qui avait conduit au renvoie d'Erika car rien que l'annonce prévenante d'Alana et Aurore sur ce fait l'avait bouleversé.
Depuis trois jours, il se mettait soudainement à pleurer, à trembler, à faire de véritables crises d'hystérie que les autres peinaient à calmer. Sylvain était complètement bouleversé par ce qu'il se passait dernièrement.
Beaucoup s'inquiétaient pour lui car il semblait évident qu'il aurait suffi de peu pour qu'il ne craque totalement, le fil de sa tolérance étant déjà tendu au maximum, et les conséquences de cet effondrement moral, bien que difficiles à prévoir, risquaient probablement de devenir dangereuses, pour lui-même et les autres, menaçant l'équilibre du groupe et donc la réussite de leur projet. Il aurait pu aller tout raconter aux autorités ou encore lâcher sa magie sans aucun contrôle, ce qui avait de quoi angoisser.
À l'opposé totale de ce comportement se situait Lavande, qui était encore plus préoccupante que Sylvain, bien que visiblement moins sur le point d'exploser. Là où tout le monde se sentait bouleversé et perturbé, en proie à un profond malaise qui mettrait certainement du temps à s'effacer, la jeune femme paraissait étrangement réjouie et satisfaite de cette tournure.
Depuis ces trois jours, elle se postait en retrait pour observer ses compagnons subir ce sentiment de malaise profond sans pouvoir s'en défaire, en souffrant et incapables de le laisser de côté pour se concentrer sur des éléments positifs, ces illusions de joie qui la dégoutaient tant. En ce moment, grâce à Erika, tout le monde avait pris conscience de l'absurdité cruelle de la vie, de ce cloaque poisseux dans lequel on se noyait, se laissant submerger par ce liquide épais et nauséabond dont on ne pouvait s'extirper.
Pour elle, il s'agissait de quelque chose qu'elle connaissait depuis longtemps, souffrant de cette réalité depuis la mort de son père sous ses yeux lorsqu'elle avait treize ans. Ce qui faisait qu'elle détestait voir d'autres personnes tranquillement heureuses, comme si l'existence était autre chose que ce amas glacé, spongieux de viscosités qui empoisonnait, faisant sombrer tout le monde toujours plus profondément sans aucune possibilité de remonter à la surface alors que, elle, elle avait pris conscience de cette sensation étouffante de noyade, de ses poumons se remplissant de cette boue gluante de la vie.
C'était pour cette raison que, du temps de l'institut Belforde et même présentement chez les suprémacistes, elle cherchait à communiquer cette sensation, ce savoir sur l'absurde cruauté, sur la souffrance froide et immuable de la vie, en mettant l'accent sur tous les éléments dans l'existence de chacun qui prouvaient l'existence de cette réalité, alors, qu'habituellement, tout le monde tentait de les oublier au profit de petites réjouissances passagères qui n'étaient que des mirages qui, lorsqu'ils s'estompaient, car ils finissaient toujours pas s'estomper, rendaient la douleur poisseuse d'être en vie encore plus violente, encore plus présente tout en renforçant les barreaux emprisonnant toutes personnes.
En ce moment où beaucoup se sentaient mal à cause d'Erika et de sa folie, Lavande avait l'impression que plusieurs autour d'elle comprenaient enfin que ces joies auxquelles ils se raccrochaient n'étaient qu'illusoires et ne servaient qu'à dissimuler toute la répugnance réelle de l'existence, ce qui, pour elle, était une victoire qu'elle saluait. Dans sa folie, Erika avait au moins eu cette utilité.
L'ambiance dans la faction était donc étrange par ces différents aspects perturbants.
Ils ne pouvaient cependant se permettre de demeurer ainsi figés dans cette inertie dérangeante car le temps continuait sa course, leurs opposants aussi, ne se retrouvant pas paralysés par le choc qu'ils traversaient de leur côté. Il leur restait leur objectif à atteindre et toute leur organisation à soutenir et à faire fonctionner, et il y avait tout particulièrement une opération qu'il leur fallait terminer de préparer.
Victor et son entourage direct, ses cinq généraux, à présent réduits au nombre de quatre, voire même de trois et demi à cause de l'état de Sylvain, avaient commencé à y réfléchir avant que ne survienne l'incident "Erika" qui avait retardé l'élaboration de la prochaine façon dont ils allaient faire entendre leur voix et tenter de rallier d'autres magiciens à leur cause : permettre aux "patients" d'un de ces asiles pour magiciens de quitter cet établissement sordide qu'ils comptaient bien forcer à la fermeture par la même occasion.
La planifier ne se révélait néanmoins pas des plus aisés car l'asile se trouvait dans le secteur de la ville où les anti-magiciens étaient les plus actifs, ce qui entrainait une très forte présence policière autour du bâtiment, les autorités craignant à raison qu'il ne soit la cible d'une des factions. En plus de ces complications techniques du genre logistiques se posait également le problème de l'investissement des organisateurs.
Si Victor était totalement concentré sur sa tâche, refusant que cette histoire avec Erika, aussi sombre soit-elle, n'entrave son objectif de faire qu'aucun autre sorcier ne connaisse le même sort que Lucille, ce qui lui suffisait à ne pas considérer comme véritablement préoccupants tous les événements pouvant se produire autour, et qu'Alana s'obsédait avec tout le travail qu'elle pouvait effectuer pour ne pas penser au reste, Aurore, elle, peinait à se concentrer.
Son esprit se dispersait malgré elle en tous sens, allant vers Erika mais plus particulièrement vers Léo puisque c'était en se raccrochant à sa rivalité avec le jeune homme qu'elle parvenait à se libérer de son traumatisme, et, par conséquent, elle ne s'avérait guère impliquée dans la préparation de leur plan.
Quant à Liroy, peut-être aurait-il énervé tout le monde avec ses plaisanteries mais il aurait également participer activement à cette préparation, sauf qu'il ne pouvait pas être présent, occupé ailleurs sur demande de Victor.
Réunis dans la pièce qu'ils avaient coutume d'utiliser comme salle de réunion sur la table de laquelle s'étalait le plan du quartier où se situait l'asile pour magiciens, ils se confrontaient à un problème d'organisation qu'ils ne voyaient pas comment surmonter. Du moins, Alana et Victor réfléchissaient en vain à une solution qui ne se montrait pas car Aurore ne participait à la réflexion que par le fait d'être assise parmi ses deux camarades, la joue écrasée dans la main et jouant distraitement avec ses mèches rousses retenues en ses deux chignons habituels.
Cherchant à solutionner le soucis qui les entravait dans la réalisation de leur opération, Alana pointa la ruelle qui longeait le côté est de l'établissement en proposant :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant