La nouvelle du départ de Roxanne, qui inquiéta beaucoup de personnes au quartier général des égalitaristes étant donné l'état dans lequel ils l'avaient retrouvée, fit rapidement le tour de la faction, dont la majorité n'avait pas le temps de s'en préoccuper avec le déménagement qui approchait rapidement.
Que l'information se soit répandue par Belladone, qui l'aurait partagée à d'autres, par quelqu'un d'autre ayant remarqué les préparatifs de Roxanne ou que ce soit elle-même qui l'ait expliqué sans qu'elle ne s'en souvienne, ce qui était tout à fait possible, les anciens camarades de la jeune femme s'étaient tous plus ou moins succédé pour, sinon tenter de la dissuader, au moins comprendre ses motivations à partir.
À tous, elle s'était contenté d'expliquer sans précision qu'elle jugeait simplement qu'elle n'avait rien à faire ici.
Elle avait cependant plus développé devant Eléa, pas car elle préférait se confier à elle mais car elle avait explosé, en ayant assez qu'on vienne encore lui répéter que ce départ était une mauvaise idée par des questions rhétoriques auxquelles elle ne pouvait répondre, explosion favorisée également par le fait qu'Eléa avait partagé sa chambre durant quelques temps et l'avait donc observée dans divers états plus ou moins imaginables. Se relâcher devant elle s'apparentait donc à une habitude pour Roxanne.
Presque hystérique, que ce soit à cause de la fatigue, de la lassitude, de l'agacement pour la répétitivité de chacune de ces visites ou du manque, elle avait raconté, de manière assez brouillonne, que sa position parmi eux était intenable pour plusieurs raisons.
D'abord,il y avait ce malaise permanent qu'elle ressentait, cette sensation de ne pas être à sa place et d'échouer quoi qu'elle tente, de n'être qu'une misérable épave qui survivait en se raccrochant aux branches mortes.
À rajouter à cela, il y avait aussi le soutien que ses camarades lui manifestaient qui se transformait en problème pour elle car, en l'encourageant et la conseillant pour "remonter la pente", ce qui venait pourtant d'une intention louable, ils lui montraient leur espoir, celui qu'elle aille mieux et qu'elle parvienne à se défaire de ses traumatismes, sauf qu'elle ne supportait plus de voir cet espoir luire dans leurs yeux lorsqu'ils lui dispensaient leurs recommandations pour aller mieux car il lui rappelait qu'elle était incapable de le satisfaire.
Elle était tout simplement incapable d'aller mieux car elle s'était engagé dans un cercle vicieux duquel elle ne pouvait s'échapper.
Les démons qui la hantaient l'amenaient au désespoir et la seule chose capable de les chasser momentanément, ce qui tenait d'ailleurs davantage à de la dissimulation les masquant pour quelques instants, était les brumes dans lesquelles elle réussissait à noyer son cerveau, que ce soient celles de la drogue, de l'alcool ou de l'extase, or, plus elle s'adonnait à ces addictions qui la libéraient de ses souffrances, plus elles devenaient elles-mêmes un problème qui l'empêchait de vivre correctement mais, lorsqu'elle s'efforçait de s'en défaire, ses démons revenaient la posséder au point de lui donner envie de les éliminer par sa mort.
Elle ne pouvait pas se libérer de ça. Elle était prisonnière de chaines incassables.
Plus elle réfléchissait, plus elle se demandait pourquoi, sur le toit, au moment de l'échange, elle avait fourni l'effort de créer un escalier pour s'enfuir plutôt que de sauter directement. Ça aurait été beaucoup plus simple. Cela, elle ne l'avait pas expliqué à Eléa, se contentant d'évoquer les raisons de son incapacité à rester parmi eux.
Plutôt que de chercher à la faire changer d'avis, Eléa lui avait simplement souhaité bonne chance en lui rappelant que leurs numéros de téléphone étaient toujours d'actualité. La jeune femme aux yeux rouges n'avait jamais réellement su quel comportement adopter face à celui de Roxanne mais cette dernière avait apprécié sa réponse à ce moment là.
En revanche, ce qu'elle appréciait beaucoup moins était le silence de Marianne.
En effet, elle s'agaçait des essais de dissuasion de ses anciens camarades mais elle ne reprochait rien aux "au revoir" or, depuis que la nouvelle de sa volonté de les quitter avait circulé parmi les membres de la faction, Marianne était la seule des ex-élèves de la classe des plus âgés à ne pas être venue lui rendre cette visite pour la persuader qu'elle commettait une erreur en partant.
Pourquoi alors qu'elles avaient été si proches ?
Du moins, Roxanne pensait qu'elles l'étaient mais il était vrai que, même si elle n'en avait rien montré, Marianne avait certainement été déçue par l'état dans lequel ils l'avaient retrouvée et qui en indiquait suffisamment sur la vie qu'elle avait menée durant ces trois ans, même si cela ne l'avait pas empêchée de l'entourer de ses soins durant cette semaine.
Son choix de partir représentait probablement une nouvelle déception, plus qu'elle ne pouvait en supporter, ce qui expliquait pourquoi elle n'était pas venue.
Il s'agissait également d'une autre motivation à son départ pour Roxanne. Elle n'aurait pas pu observer tous les jours la déception qu'elle causait à ses proches, surtout à Marianne.
Roxanne terminait donc de préparer ses affaires, peu nombreuses et composées notamment de vêtements qu'on lui avait généreusement cédés, de quelques réserves de nourritures et de produits d'hygiène divers, en se faisant à l'idée qu'elle ne saluerait pas Marianne avant de partir mais, alors qu'elle refermait son sac, qui lui aussi lui avait été donné comme elle ne possédait absolument rien en arrivant il y avait plusieurs jours, on frappa à la porte de la pièce qu'elle avait brièvement occupée comme chambre pour s'annoncer.
Se tournant, elle découvrit Marianne dans l'encadrement de la porte alors même qu'elle déplorait son apparente indifférence envers son départ prochain.
La jeune femme portait un pantalon taille haute couleur prune et une chemise grise, plus pratiques que les vestes ou les jupes style tailleur qu'elle affectionnait au temps de l'institut Belforde mais qui continuaient néanmoins à refléter sa personnalité posée et ordonnée.
En revanche, pour ce qui était de son attitude, elle était actuellement assez éloignée de ce caractère que tous lui connaissaient. Elle se tenait beaucoup trop droite, les dents enfoncées dans sa lèvre inférieure et elle paraissait ne pas savoir quelle posture adopter, ne cessant de croiser et de décroiser les bras sur sa poitrine ou bien de les garder le long de son corps en serrant les poings, presque comme si elle hésitait, ce qui ne lui ressemblait absolument pas.
Il y avait de quoi être surpris et déstabilisé, exactement ce que fut Roxanne en la découvrant ainsi.
Pourquoi était-elle dans un tel état ? Était-ce son départ qui la plongeait dans cette émotion que personne ne lui avait jamais vue arborer ?
Culpabilisant, si il s'agissait effectivement de sa faute, et tenant donc à tenter de la réconforter, même si elle savait qu'elle n'avait pas de grandes capacités en ce domaine, elle se devait d'au moins essayer pour Marianne, pour la remercier de tout ce qu'elle avait toujours fait pour elle, Roxanne tendit la main vers elle en ouvrant la bouche, s'apprêtant à s'enquérir du problème, mais Marianne la prit de vitesse :

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Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]
ParanormalTrois ans se sont écoulé depuis la mort de Lucille. Traumatisé par celle-ci, Victor a refusé de se rendre et Saint-Théophile est aujourd'hui une véritable zone de non-droit désertée par sa population où s'affrontent les suprématistes magiciens, men...