Chapitre 14 - Fleur fanée [1/2]

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Lavande souffla d'agacement par les narines, s'impatientant.
Alors qu'ils avaient désactivé l'alarme, sans grande difficulté, comme promis, ils venaient de découvrir que l'enregistrement des caméras de sécurité dépendait d'un autre système parallèle qu'il leur fallait donc désactiver à son tour, une fois qu'ils auraient repéré le serveur qui gérait ces enregistrements, mais, bien qu'elle l'ait informé de ce fait, Victor ne réagissait absolument pas de l'autre côté du portable or, ils ne pouvaient rien faire sans les directives de leur chef.
Ils demeuraient immobiles en ignorant que faire et incapables de prendre une initiative. Ce qui commençait à énerver Lavande car elle n'avait absolument pas envie de trainer plus que nécessaire dans les parages. Plus elle s'attardait, plus elle s'exposait longtemps et plus le danger augmentait, ce qui ne lui plaisait absolument pas, au contraire.
Alors qu'elle s'apprêtait à se plaindre de ce silence de la part de leur chef, qui était pourtant censé les guider durant toute l'opération, la voix d'Alana jaillit du portable, légèrement affolée, ce que Lavande releva avec circonspection :

« Faut que vous dégagiez tout de suite ! Y a des anti-magiciens qui se radinent et ils sont armés. »

Lavande jura alors qu'un long frisson de panique parcourait son dos.
Par de longues inspirations, elle se força à ne pas céder à l'hystérie malgré l'affolement qui la gagnait à cause des autres membres de l'équipe qui l'entouraient. Non pas car ils comptaient sur elle comme elle était leur chef et que, par conséquent, en tant que tel, elle se devait de rester calme pour eux-mêmes, les rassurer et leur permettre de regagner la sécurité sans dégât, mais plutôt qu'elle n'aurait pas apprécié d'endurer un possible jugement négatif si ils la voyaient céder à l'affolement.
Sa seule envie, sa première réaction en réflexe face à cette situation, aurait pourtant été de se trouver une cachette où personne n'irait la chercher, les paupières fermement closes et les paumes plaquées sur ses oreilles pour ne pas se confronter à la réalité trop effrayante, trop dure, cependant, elle ne pouvait guère se permettre de réagir de la sorte, retenue par le regard des autres.
Elle prit donc une profonde inspiration pour tenter de se maîtriser puis, après avoir répondu à Alana, d'un ton pas aussi assuré qu'elle l'aurait souhaité, qu'ils se pressaient de quitter les lieux pour rejoindre le bar, la jeune femme fit signe de faire demi-tour aux autres, qui la fixaient de grands yeux affolés en attente de sa décision.
Même dans ces circonstances, ils se sentaient obligés d'obéir uniquement à ceux considérés comme leurs supérieurs, même si il était évident que Lavande n'irait pas à l'encontre de l'ordre de Victor donné par la voix d'Alana, surtout dans cette situation.
Évidemment, personne ne s'opposa mais, alors qu'ils montaient les escaliers, étant descendus au sous-sols pour trouver les routeurs contrôlant le système de sécurité de l'établissement, ils se figèrent alors qu'un premier coup de feu suivis de cris résonnait à l'étage au-dessus. Lavande jura de nouveau en tremblant.
Visiblement, l'information avait tardé à leur parvenir car il était trop tard pour fuir avant que les anti-magiciens n'envahissent les lieux, leur coupant toute retraite. Ils étaient piégés dans ce bâtiment avec un commando d'extrémistes certainement venus s'en prendre aux magiciens logés dans cet asile et dont ils étaient eux aussi de potentiels victimes, étant eux-mêmes des sorciers.
Cette fois, Lavande ne put se contrôler davantage malgré l'opinion des autres. Figée sur les marches de béton, elle se replia sur elle-même en se prenant la tête dans les mains.
Une preuve que sa philosophie sur la vie était juste : alors même qu'elle se permettait de se réjouir de ne plus être seule à saisir la cruelle absurdité de l'existence, celle-ce se chargeait de lui rappeler que c'était encore pire que cela et s'empressait de la placer dans une situation où le peu qu'elle possédait, en l'occurrence sa vie, était menacé de façon quasi certaine, lui jetant au visage la petitesse de sa personne, l'insignifiance de son existence et la fragilité dérisoire, illusoire, de ses certitudes.
En cet instant, elle était tout simplement incapable de faire autre chose que de rester recroquevillée comme elle l'était présentement. De toute manière, ils n'avaient guère d'alternatives à leur disposition, à part tenter de gagner la sortie malgré le danger en ayant, au besoin, recourt à leurs pouvoirs. Sauf que Lavande refusait catégoriquement de se risquer dans une telle entreprise.
Encore une fois, mettre volontairement sa vie en danger en sachant parfaitement à quoi on s'exposait, quelles que soient les circonstances et les raisons de le faire, était la chose la plus stupide qu'une personne pouvait commettre, or, Lavande ne se considérait pas comme quelqu'un de stupide, au contraire, comme elle se permettait souvent de prendre les autres de haut.
Resserrant ses bras autour d'elle en enfonçant le visage entre ses bras, elle signifia au reste des membres du groupe qu'elle ne comptait nullement agir, ne serait-ce qu'en leur donnant des ordres ou des conseils alors qu'ils en auraient pourtant eu grand besoin en cette situation.
A travers son téléphone, qu'elle gardait fermement serré dans son poing comme pour se raccrocher à quelque chose, la voix interrogative de Victor s'enquit de ce qu'il se passait, inquiet de ne pas les voir revenir alors que la communication les informant du danger remontait déjà aux plusieurs minutes qui auraient dû leur suffire pour rejoindre le lieu de replis à quelques mètres de l'asile, mais Lavande ne lui répondit pas.
En proie à cette vive panique se rapprochant de l'hystérie, la jeune femme alla pour jeter son portable à travers les escaliers mais, stoppant son geste et prenant les choses en main, une femme de l'équipe le lui arracha.
Il s'agissait d'Anastasia, Ana pour faire plus court, de quinze ans l'ainée de Lavande, à qui elle n'appréciait guère de se soumettre surtout lorsqu'elle constatait comment elle gérait l'imprévu, et magicienne de la glace comme le montraient ses yeux d'une teinte bleu-gris intense.
Tenant le téléphone de Lavande, elle expliqua à Victor que les anti-magiciens avaient envahi les lieux, en faisant usage de leurs armes, et qu'il était donc certainement impossible pour eux de quitter l'établissement sans les affronter, prenant ainsi des risques.
Victor demeura silencieux durant quelques secondes, réfléchissant, jusqu'à demander ce qu'il en était de Lavande, puisque c'était elle qui était censée lui répondre. Après un claquement de langue assez méprisant et désapprobateur accompagné d'un regard jeté sur la jeune femme repliée sur la marche, Anastasia rapporta succinctement qu'elle n'était en état ni de suivre les directives de Victor ni d'en donner sans rien préciser davantage.
Le jeune homme marmonna quelque chose d'incompréhensible, probablement en anglais, n'ayant, il l'avouait, absolument pas prévu cette tournure de la situation. Par ailleurs, il lui manquait une vision d'ensemble, que ce soit car il ne se trouvait pas directement sur place ou bien car il y avait simplement de nombreux inconnus : le nombre exact d'anti-magiciens, leur armement, la façon dont ils étaient repartis dans l'asile, la position des pensionnaires de celui-ci, si ils avaient cherché à s'organiser pour se défendre, si des combats avaient déjà éclaté ou non dans le bâtiment.
Finalement, ne pouvant guère faire autre chose que de confier la décision à l'équipe, ne pouvant la prendre à cause de ces incertitude, Victor annonça à Anastasia qu'il se fiait à son jugement. La jeune femme acquiesça en ajoutant à voix haute, son interlocuteur ne pouvant voir son mouvement du menton, que c'était bien reçu puis elle reposa le portable à côté de Lavande, qui n'avait pas réagi de tout l'échange, même alors que ses responsabilités lui étaient retirées au profit d'Anastasia.
Cette dernière, se tournant vers les autres membres du groupe, elle déclara qu'elle n'avait aucunement l'intention de se terrer jusqu'à se faire trouver par les anti-magiciens mais bien de ressortir en un seul morceau et avec les pensionnaires de l'asile, comme prévu initialement, ne craignant pas d'affronter les anti-magiciens, bien qu'elle tenterait de les éviter au maximum. Elle n'obligeait personne à l'accompagner, cependant, tous préférèrent la suivre, jugeant qu'il était plus sûr de rester groupés et poussés par la confiance que dégageait la jeune femme.
Seule Lavande ne manifesta pas son assentiment pour ce plan, toujours en pleine crise de panique, mais l'abandonner derrière eux dérangeait une partie du groupe. Anastasia chercha donc à forcer la jeune fille à se relever mais Lavande se débattit en s'affolant, criant qu'elle ne voulait pas y aller. Pour la faire taire, avant que ses cris hystériques ne les fassent repérer, et n'ayant pas le temps de la calmer plus en douceur, Anastasia lui décocha une gifle qui fit pivoter son visage sur le côté et qui la choqua tant qu'elle se tut en portant une main tremblante à sa joue.
Même si sa panique avait, pour ainsi dire, été maîtrisée, ses jambes refusaient de bouger, traduisant cet affolement. Ne la laissant pour autant toujours pas derrière eux, Anastasia la souleva pour la porter sur son dos. Grande, musclée et endurante, porter une frêle jeune fille comme Lavande ne lui posait guère de problème.
En préparation à leur sortie, Anastasia prit les deux magiciens des sens de l'équipe à part pour ordonner à l'un de concentrer son ouï sur les déplacements des anti-magiciens, qu'il pourrait reconnaître grâce aux bruits des armes qui les accompagnaient, et l'autre sur la recherche d'indices, sons, odeurs ou tout autre, qui les guideraient vers les pensionnaires de l'asile.
Ainsi parés, ils quittèrent les sous-sols pour le rez-de-chaussée, sur leurs gardes et les sens aux aguets, sauf Lavande. Ce n'était pas qu'elle n'entendait ou ne voyait pas pas ce qu'il se passait autour d'elle mais plutôt qu'elle était incapable de réagir.
Au contraire, elle avait parfaitement écouté le plan d'Anastasia qu'elle ne comprenait pas, dans le sens où elle ne comprenait pas pourquoi Anastasia tenait tant à ramener, à sauver, tout le monde en mettant sa vie en danger. C'était quelqu'un de fort et d'intelligent, avec des capacités physiques renforcées par sa magie, elle aurait très bien pu se tirer de cette situation précaire sans trop de difficultés mais, à la place, elle s'encombrait de tous les autres, en particulier d'elle, qu'elle se retrouvait obligée de porter, et décidait en plus de secourir les pensionnaires de cet asile, s'exposant largement et réduisant ainsi ses chances de s'en sortir.
Pourquoi un tel choix ?
C'était stupide, tout simplement stupide. Cette femme risquait sa vie pour sauver celles d'autres. Comme son père. Tout ce qu'elle allait gagner à jouer les héros de la sorte ce serait de se faire tuer. Comme son père.
La tête contre l'épaule d'Anastasia, c'était à lui que Lavande ne cessait de songer.
Après plusieurs minutes tendues, tous craignant de voir surgir un anti-magicien mais ils semblaient se trouver dans les étages supérieurs, le magicien qu'Anastasia avait chargé de repérer les pensionnaires annonça qu'il avait une piste. Prenant donc la tête du groupe, il le guida vers des escaliers qu'ils gravirent jusqu'au deuxième étage.
Jusqu'ici, ils n'avaient rencontré aucun opposant mais cela ne dura pas.
Dès qu'ils mirent un pied dans le couloir, on les interpella et personne n'eut besoin de tourner la tête pour deviner qu'on les mettait en joue.
Réagissant immédiatement, un sorcier arracha leurs armes à deux personnes grâce à sa télékinésie puis Anastasia enchaîna. Laissant Lavande tomber à terre, n'ayant pas le temps de la déposer en douceur, elle posa ses paumes au sol en invoquant ses pouvoirs. Un épais mur de glace obstrua le couloir jusqu'au plafond, les protégeant des tirs et leur accordant le temps nécessaire pour se mettre à couvert.
Il n'avait fallu que quelques secondes à Anastasia pour générer cette paroi de glace de plusieurs centimètres, preuve d'un grand talent et d'une grande maîtrise de sa magie. Lavande ne le releva pas vraiment, pas en état et ne s'extasiant pas sur les capacités, magiques ou autres, d'autrui en règle générale de toute manière.
Sa panique s'était renforcée à la découverte des armes et il était devenu encore plus évident pour elle que se déplacer de la sorte était pour eux le meilleur moyen de se faire tuer, ce qu'elle refusait catégoriquement, même si ce n'était qu'une possibilité parmi d'autres. Pas question qu'elle s'expose davantage en suivant le groupe.
Si Anastasia était suicidaire et que ça ne dérangeait pas les autres qu'elle les entraine à la mort en voulant secourir des inconnus, ce n'était pas son cas à elle. Se plaquant contre le mur, elle esquiva Anastasia qui tendait la main vers elle pour l'aider à marcher comme précédemment. La jeune femme insista en appuyant sur le fait qu'ils ne devaient pas s'attarder, comme le mur de glace ne tiendrait pas éternellement.
À ces mots, Lavande explosa totalement. Elle repoussa violemment Anastasia, la personne la plus proche d'elle, en hurlant qu'elle ne voulait pas stupidement risquer sa vie comme ça. Correspondant à son cri, toutes les ampoules du couloir éclatèrent sous l'effet de ses pouvoirs qui se libérèrent sous l'hystérie.
Par réflexe, tous se baissèrent soudainement sous la surprise et pour se protéger des éclats, offrant ainsi une diversion à Lavande, même si elle ne l'avait nullement prémédité. Profitant donc que l'attention de ses compagnons ne soit plus centrée sur elle, Lavande s'enfuit par les escaliers qu'ils venaient de gravir.
Anastasia hésita un instant à la poursuivre pour la ramener mais elle conclut que la situation était trop tendue et qu'elle ne pouvait se permettre de mettre tout le monde en danger davantage. Avec difficulté, la jeune femme décida donc que la meilleure chose à faire était d'abandonner Lavande, y parvenant car on lui avait appris qu'il fallait parfois faire des choix douloureux.
Dans les escaliers, Lavande constata avec soulagement que personne ne la suivait et qu'on avait donc cessé de s'obstiner à la faire participer à ce suicide collectif. Sa panique en était moins vive mais elle n'avait certainement pas disparu.
À la recherche d'un endroit où se cacher en attendant que les choses se calment, la jeune fille déboucha dans la cuisine de l'établissement, une pièce carrelée toute en longueur, où elle se recroquevilla entre une table et un fourneau en guise de cachette.
Durant plusieurs minutes, rien ne se produisit et tout demeura silencieux puis des pas se rapprochèrent de sa position. Se crispant, Lavande plaqua ses paumes sur sa bouche pour empêcher le moindre son de franchir ses lèvres et ainsi de la faire repérer, tout en tentant de capter une éventuelle conversation pour savoir de qui ils 'agissait exactement. Ce qu'elle entendit ne fit que l'affoler davantage.
Une voix, qu'elle ne connaissait pas, expliquait, s'adressant vraisemblablement à un comparse, non sans contrariété, que le bâtiment était vide, que les magiciens leur avaient visiblement échappé. Les larmes brûlèrent les yeux pourpres de Lavande alors qu'elle comprenait que les autres avaient réussi à quitter les lieux mais qu'elle s'y retrouvait piégée avec des anti-magiciens frustrés à quelques mètres.
Pourquoi ? Elle ne s'était pourtant pas exposé alors pourquoi était-elle à présent directement menacée de la sorte ? Se serait-elle trompé ?
Peut-être avait-elle eu tort dans sa façon de raisonner et que la bonne chose à faire était de s'interposer face au couteau ?
Non, même en y réfléchissant sous cet angle et en repassant la scène dans son esprit, malgré elle d'ailleurs, elle ne comprenait toujours pas comment une personne sensée pouvait agir de la sorte. Quelque chose lui échappait.
Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-elle pas s'empêcher de songer à son père depuis quelques jours ?
Elle ne voulait pas se souvenir, surtout pas en ce moment !
Les ongles enfoncés dans son crâne, elle ferma les yeux avec autant de force que possible, comme si ne rien voir pouvait suffire à tout faire disparaître, faire que plus rien n'existait autour d'elle, ce qui était impossible. Inconsciemment, elle se tassa encore davantage sur elle-même en émettant un gémissement qui fut suffisamment audible.
Avant qu'elle ne réalise qu'elle avait été bruyante, le canon d'un pistolet se pointa sur son crâne. Elle releva un regard luisant de larmes sur une femme à l'air dur qui la visait de son arme, visiblement prête à presser la détente et la teinte pourpre de ses iris était certainement pour elle une raison de le faire.
Pourquoi était-elle confrontée à cette situation ? Pourquoi son père n'était-il pas là pour la protéger ? Fallait-il qu'elle se protège elle-même ?
Tout mais ne pas mourir, ne pas mourir.
Dans un réflexe de survie, la jeune fille cria sans réfléchir, souhaitant uniquement se sauver :

« Attendez ! Je...je peux vous conduire aux autres magiciens !
- Vraiment ? Demanda la femme.
- Ou...oui. C'est dans la zone industrielle ! »

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant