Chapitre 21 - Le roi est mort. Vive la reine [1/2]

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Deux jours après le départ de Roxanne, qui les avait rapidement contactés pour les informer qu'elle avait été recueillie par les inspecteurs Carmody et Guyon, ce qui surprit mais rassura tous ceux se sentant concernés, et deux jours après que Marianne soit tombée dans ce qui ressemblait vaguement à un état dépressif – elle affirmait que tout allait bien et s'acquittait de ses tâches sans rechigner ni faiblir, comme toujours, mais tous ceux qui la connaissaient voyaient bien qu'un profond tourment habitait son regard bordeaux – la dernière étape du déménagement du quartier général était prête à se dérouler.
Tout l'ameublement et les plus gros objets avaient déjà été déplacés lors des précédentes opérations, Raphaël et Damien avaient terminé d'installer le système de sécurité dans la mine désaffectée, qui allait à présent leur servir de repaire, et de désactiver celui du hangar, et il ne restait plus que les membres de la faction ainsi que quelques unes de leurs affaires personnelles qu'ils allaient emmener avec eux dans des sacs lors de cette dernière opération.
Un sac à dos ouvert sur le sol de la pièce qui lui avait servi de chambre partagée avec Gabriel durant quelques temps, Eléa terminait d'emballer ses effets personnels dont quelques vêtements qu'elle avait oubliés de déplacer les fois précédentes, les photos qu'ils avaient prises dans un photomaton avec Gabriel avant que la situation ne soit aussi critique qu'aujourd'hui et ce qu'il restait du collier que Gabriel lui avait offert à son retour des vacances de Noël lors de son année de scolarité à l'institut Belforde : une plaque en fer blanc ovale à laquelle était accrochée une fine chaine.
La bulle de verre contenant un peu de sang n'y était plus depuis plus d'un an maintenant. Eléa avait dû la briser pour en utiliser le sang de façon à s'extirper d'une situation délicate, prise au piège par des suprématistes, ce qui était d'ailleurs le but de l'objet. Peu de temps après, Gabriel lui avait offert l'anneau qu'elle portait à présent au doigt et dont la minuscule lame lui servait à créer des entailles dans sa chair, sachant que la jeune femme préférait user de sa magie sur son propre sang que de l'utiliser pour "appeler" le sang de quelqu'un d'autre, même d'un ennemi.
Il s'agissait d'un principe, mais peut-être qu'elle ne pourrait pas s'y tenir éternellement. Dans les circonstances actuelles où la violence semblait augmenter, peut-être serait-elle forcée de suivre cette évolution et de se montrer plus radicale dans sa manière de concevoir les affrontements. Tout cela ne lui plaisait pas.
Évidemment, elle voulait lutter pour la cause des magiciens, bien loin d'accepter la position qu'on leur laissait, mais la manière dont la situation changeait ne la rassurait pas. Il y avait de plus en plus de violence et de haine.
D'ailleurs, Eléa craignait que, progressivement, ce sentiment ne remplace la motivation première qui était, à l'origine, l'amélioration de leur condition à laquelle leur nature les condamnait et l'égalité pour tous. Peu à peu, il lui semblait qu'on oubliait cet idéal et qu'on se battait uniquement par haine de son adversaire, ce qui était déjà le cas pour les anti-magiciens et qui paraissait contaminer absolument tout le monde, ce qu'elle n'aimait vraiment pas.
Parfois, particulièrement le soir lorsqu'elle n'avait aucune tâche avec laquelle s'occuper l'esprit, elle songeait à abandonner tout cela, à fuir loin de toute cette histoire de laquelle elle se sentait de plus en plus prisonnière. S'enfuir vers un endroit plus simple où elle n'aurait plus eu à se soucier de toutes ces affaires sordides, où elle n'aurait plus été confrontée à la mort et la violence, elle ne cessait d'y songer.
Depuis longtemps, elle souhaitait changer les choses pour les magiciens et toutes les autres personnes qui subissaient également leur situation mais elle commençait à se demander si elle en avait réellement la force et les capacités, alors qu'elle peinait de plus en plus à encaisser et qu'elle sentait qu'il suffisait d'encore quelques événements pour qu'elle craque.
Elle aurait aimé ne plus avoir à se préoccuper de tout cela pour plutôt se trouver un endroit où elle aurait été protégée et coupée de tout ce qui la rongeait en ce moment, loin de cette ambiance, où elle aurait pu profiter d'une situation plus simple, moins angoissante, moins complexe, avec Gabriel.
Elle ne le pouvait cependant pas car on avait besoin d'elle dans le contexte actuel, elle ne pouvait pas abandonner ses compagnons et ses amis qui comptaient sur elle pour accomplir leur but ensemble. Fuir ainsi juste parce que supporter la situation dans laquelle ils s'étaient engagé aurait été menacer d'écroulement toute leur organisation, rendant leur objectif davantage inatteignable. Il fallait donc qu'elle tienne le coup et continue, soutenant les autres comme ils la soutenaient, progressant ainsi vers le but en lequel ils croyaient.
Peut-être avait-elle seulement besoin de se reposer, de souffler après ces derniers temps assez compliqués. D'ailleurs, changer de "lieu de résidence" irait probablement dans ce sens.
S'efforçant de chasser ces pensées peu encourageantes, elle ferma son sac qu'elle passa sur ses épaules en soupirant.
La rejoignant dans la chambre, revenant de la salle commune où il aidait à organiser le déplacement, Gabriel l'enlaça par derrière en passant ses bras autour de sa taille pour la ramener contre lui en lui demandant si elle était prête. La jeune femme acquiesça en confirmant avant de se retourner pour se détacher doucement de Gabriel et se diriger vers la porte pour sortir de la chambre et gagner la salle commune, où ils devaient se rassembler avant le départ, mais Gabriel la retint en saisissant sa main dans les siennes, les sourcils froncés.
Il voyait que quelque chose n'allait pas, dans son attitude, car il la connaissait sur le bout des doigts, ou dans son aura qu'il découvrait troublée. La jeune femme détourna les yeux en étouffant un soupir. Ce n'était parfois pas évident d'entretenir une relation avec une personne susceptible de décrypter la moindre de ses émotions à travers les mouvements de son aura.
Glissant tendrement une main dans ses cheveux, il s'enquit de son humeur. Même si elle savait pertinemment qu'il détecterait qu'il s'agissait d'un mensonge, elle lui assura que tout allait bien, jugeant qu'il était inutile de parler et de s'appesantir sur quelque chose qu'on n'aurait pu changer et qui n'aurait fait que remuer la douleur en l'évoquant. De son côté, Gabriel comprit parfaitement qu'elle ne se portait pas aussi bien qu'elle l'affirmait mais il nota également qu'elle ne souhaitait pas en parler alors, respectant son choix, il n'insista pas, bien qu'il s'inquiète.
Il s'attarda néanmoins un instant sur son aura qui se resserrait autour d'elle, refermée sur elle-même dans une attitude autoprotection permettant de mieux supporter quelque chose. Ce n'était pas la première fois que Gabriel observait le phénomène chez Eléa. Au contraire, ces derniers temps, son aura n'avait cessé de se replier sur elle-même mais c'était la première fois que c'était aussi fort.
Il n'aimait pas voir Eléa dans cet état mais que pouvait-il faire alors qu'elle refusait de se confier, il ne pouvait pas l'obliger à le faire ? Du moins, pas dans les circonstances immédiates.
S'efforçant donc de ne pas y songer pour l'instant, il entraina la jeune femme, un bras autour de ses épaules, jusqu'à la salle commune où la quasi totalité des membres de la faction était réunie en attente de l'organisation des déplacements jusqu'à leur nouveau repaire.
En effet, ils ne pouvaient s'y rendre en un seul grand groupe, ils auraient été bien trop repérables, par leurs adversaires en la personne des deux autres factions, ou par les autorités. Pour limiter les risques, car ils n'étaient pas entièrement évitable évidemment, ils allaient se diviser en plusieurs groupes restreints qui emprunteraient des itinéraires différents.
La répartition se fit rapidement comme elle avait été prévue à l'avance. Eléa se retrouvait dans le dernier groupe, celui qui quitterait les lieux en dernier, composé, en plus d'elle, de Gabriel, Margaux, Adriel, Damien, Nolwenn, Salim, qui pestait de se retrouver séparé de Raphaël alors qu'Eléa, Gabriel, Adriel et Nolwenn étaient avec leur moitié respective, et Monsieur Belforde.
Se préparant donc à attendre, comme il y avait tout de même deux heures environ entre le départ du premier groupe et celui du dernier, ils s'installèrent dans un coin, pendant que les premiers à faire le voyage commençaient à se mettre en route sous diverses recommandations de prudence.
Sortant un paquet, non pas de cigarettes pour une fois car il avait subitement décidé d'arrêter de fumer, mais de cartes, Salim proposa une partie pour tuer le temps, ce que tout le monde accepta.
Parties après parties, durant lesquelles Adriel se félicita qu'ils n'aient pas choisi de jouer au poker ni de parier quelque chose car il aurait fini plumé, ils assistèrent aux départs successifs des autres groupes jusqu'à ce que, deux heures plus tard, il ne reste plus qu'eux huit dans les sous-sols du hangar, tous les autres membres étant normalement arrivés à destination. Leur tour était donc venu de rejoindre leur nouveau logement.
Enfin !
Eléa se releva en s'étirant, les membres ankylosés par sa posture d'attente. L'attente était vraiment pénible, surtout lorsqu'on patientait avant quelque chose d'important.
Ils vérifièrent qu'ils avaient toutes leurs affaires puis, prêts, ils quittèrent définitivement l'endroit. Lorsque Monsieur Belforde referma la porte de l'entrepôt, Eléa eut le sentiment qu'une nouvelle page se tournait, sensation qu'elle avait dès qu'ils changeaient de cachette, ce qui était arrivé cinq fois depuis le début de la guérilla, aujourd'hui étant la sixième.
Aujourd'hui cependant, elle se posait une question qui obscurcissait son humeur, ou qui venait avec son humeur déjà quelque peu obscure : est-ce que ce qu'ils allaient inscrire cette page vierge allait vraiment avoir du sens ou ne serait-ce que des lignes de vide ?
Cette interrogation l'accompagna alors qu'elle suivait les autres sur le trajet qu'ils avaient élaboré et qui les faisait contourner le centre-ville par les rues étroites initialement résidentielles mais qui, avec la fuite des résidents, se rapprochaient davantage d'alignement d'habitations fantômes et désertées.
Bifurquant vers l'ouest, ils avançaient en discutant d'un ton bas, élever la voix risquant de les faire remarquer or, ils préféraient conserver une certaine discrétion, toujours sur leurs gardes lorsqu'ils se trouvaient hors de leur repaire, Adriel et Nolwenn se tenant par la main, Damien échangeant avec Salim à propos de l'avenir, ce que l'un et l'autre envisageaient lorsque tout serait terminé, à l'initiative de Salim, Gabriel soutenant Monsieur Belforde, qui peinait à garder le rythme à cause de sa difficulté à se déplacer qui l'obligeait à avoir une canne, et Eléa, silencieuse, les mains dans les poches, repensant à ces idées qui la troublaient.
Elle en fut soudainement extirpée par une réaction de ses pouvoirs qu'elle perçut subitement fourmiller le long de ses veines, remontant à la surface, prêts à jaillir. Normalement, cet effet apparaissait sous le coup de l'émotion ou lorsqu'une quantité importante de sang était répandue à proximité, appelant ses pouvoirs or, comme elle n'était sous l'influence d'aucune émotion forte en cet instant, la seconde possibilité semblait être la bonne.
Portant davantage d'attention à ses compagnons, elle les examina à la recherche de celui qui se serait éventuellement blessé, provoquant cette réaction de sa magie, mais aucun ne paraissait souffrir d'une soudaine plaie, sans compter que, au vue de la façon dont sa magie s'agitait, il s'agissait de beaucoup de sang, pas seulement d'une goutte résultant d'une petite coupure. Ce sang provenait donc d'ailleurs, de quelque part autour d'eux, probablement dans un des immeubles de la rue.
Stoppant brutalement dans sa marche, elle avertit les autres qui se tournèrent vers elle, se demandant quelles étaient les raisons de cet arrêt soudain :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant