Chapitre 22 - Sans larme [1/2]

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/!\  Ce chapitre parle de pulsions suicidaires et de dépression ! Si le sujet vous heurte, peut-être vaut-il mieux que vous le passiez !!! /!\

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A moitié réveillée, elle captait vaguement les bruits de la vie quotidienne qui s'éveillait après une nuit de sommeil, les chuchotements échangés à voix basses, les rappels de silence lorsque le ton montait trop, les cliquetis des couverts, les sons de mastications, ceux des tasses qu'on remplissait, les manteaux qu'on enfilait, les chaussures qu'on cherchait sous les meubles, les embrassades et les souhaits de bonne journée puis la serrure qu'on déverrouillait pour ouvrir la porte qu'on referma ensuite.
Depuis une bonne semaine que Roxanne avait été accueillie dans l'appartement de Martial et Julie, qui continuaient surprenamment à l'accepter et la tolérer – Roxanne se demandait combien de temps cette cohabitation allait pouvoir durer jusqu'à ce qu'ils ne la supportent plus – elle s'était habitué à l'agitation matinale qui démarrait la routine de la journée, avec le petit-déjeuner, la préparation des enfants et le départ.
Elle ne fut donc pas réellement dérangée et elle changea de sens sur le canapé, où elle passait ses nuits, pour se rendormir avec un grognement.
Elle se réveilla complètement quelques minutes plus tard, pas vraiment en forme, encore quelques peu fatiguée et ankylosée mais c'était bien loin d'être aussi pesant que les brumes desquelles il lui avait souvent fallu émerger après une nuit d'excès.
Depuis son arrivée, elle n'avait approché aucune substance illicite, n'avait pas avalé une goutte d'alcool. A la place, elle mangeait des repas équilibrés préparés par les soins de Martial, le plus souvent, se couchait avec les enfants pour faire des nuits complètes de huit heures et Julie l'avait trainée à deux reprises dans une salle de sport. En résumé : tout ce qui permettait de reprendre un mode de vie plus sain.
Ses nuits étaient cependant toujours peuplées des mêmes cauchemars que pendant des années, parfois tellement persistants qu'ils demeuraient présents durant la journée et elle ne pouvait pas se précipiter sur ses remèdes alternatifs personnels où elle avait pris coutume de noyer ses traumatismes derrière un voile épais, Martial y veillait soigneusement d'ailleurs, c'était le contrat pour qu'elle puisse être hébergée par eux.
Envahie par ses démons qu'elle n'avait plus aucun moyen d'ignorer, elle avait donc certaines tendance à la dépression, au découragement et au désespoir. Souvent, elle restait durant de longs moments prostrée, silencieuse et sombre, l'esprit incapable de se détacher de tout ce qu'elle avait vécu. Ce que Julie et Martial avaient évidemment remarqué.
Difficile de dissimuler des choses à deux inspecteurs, d'ailleurs, Roxanne souhaitait bon courage à Romuald et Sophie lorsqu'ils s'efforceraient de leur cacher des frasques à l'adolescence.
Ils tentaient de lui apporter leur aide, bien qu'ils ne connaissent pas les détails de son passé qui la hantait de la sorte. Tous deux lui avaient déjà rapporté différentes brochures et dépliants, pour un psychiatre, un centre d'aide, un groupe de soutien aux dépendants et encore d'autres choses du genre, mais, pour l'instant, elle n'en avait encore rien fait, elle ne se sentait pas capable d'aller à la rencontre d'inconnus dont la seule action face à ses propos aurait été de hocher le menton avec un sourire navré en lui disant qu'ils comprenaient.
Parler ne contribuait pas à changer le passé or, c'était ce qu'elle désirait : effacer ces pénibles années qu'il lui avait fallu traverser. C'était le seul moyen pour qu'elle aille enfin mieux car c'était l'unique manière pour qu'elle puisse supporter ce qu'elle avait vécu.
Pour l'instant, elle errait dans l'appartement la grande majorité de ses journées en se demandant quand est-ce qu'elle ne pourrait plus endurer le sevrage et craquerait.
Après tout, durant son internement au centre de désintoxication, le sevrage l'avait poussée à de graves crises d'hallucinations hystériques ainsi qu'à des actes de violence envers sa propre personne et avait même motivé une tentative de suicide mais ce n'était pas tant une conséquence des effets du manque qu'une de son impossibilité à faire face à ses souvenirs. D'ailleurs, elle commençait à éprouver les mêmes pulsions suicidaires qu'à l'époque, ce qui aurait pu être source de profondes angoisses mais Roxanne y voyait davantage une sorte de fatalité contre laquelle elle ne pouvait pas lutter.
Depuis le temps, elle avait compris qu'elle ne pourrait jamais échapper à ses démons ni se défaire de toutes ces chaines. En parler, tenter d'y faire face, faire la paix avec ce qu'elle avait traversé, rien ne fonctionnait, aucun exorcisme ne semblait exister pour ses démons.
Il y avait néanmoins quelque chose qui l'apaisait un peu et l'aidait à se détacher, pour une heure ou deux, Romuald et Sophie qu'elle gardait lorsque Julie était retenue au poste et que Martial avait quelqu'un à rencontrer dans le cadre de son statu d'inspecteur subissant une enquête interne – jamais Roxanne n'aurait cru qu'un policier suspendu dans l'attente des résultats de l'enquête le concernant serait si pris.
S'occuper de deux petits de huit ans, protégés de la laideur du monde et ignorant à quel point une personne pouvait être détruite, lui faisait du bien, notamment par la vision pure et naïve qu'ils avaient, tout simplement enfantine.
C'était rafraichissant mais ce sentiment ne durait jamais bien longtemps et s'estompait toujours en faveur de ses tourments trop profondément ancrés en elle.
Plutôt que de retourner ces pensées sombres dans son esprit, elle y songerait suffisamment dans la journée et les jours suivants, Roxanne se leva, s'extirpant des draps qu'elle plia et rangea avec son oreiller sous le canapé, comme chaque matin depuis une semaine. Elle veillait toujours à tout laisser en ordre derrière elle, considérant que c'était la moindre des choses, comme Martial et Julie la logeaient sans exiger de contrepartie, et également la seule façon qu'elle possédait pour les remercier.
S'asseyant à la table de la cuisine où on lui avait laissé boîtes de céréales, pain, confiture et cafetière, elle avala une tasse de café en guise de petit déjeuner pour terminer de se réveiller et espérant éclaircir son esprit parasité par ses démons, en vain. Depuis le temps, des substances bien plus fortes et violentes ne lui faisaient guère plus d'effet alors c'était ridicule d'attendre quoi que ce soit d'une stupide tasse de café.
Terminant rapidement, elle débarrassa et nettoya la table avant de se rendre à la salle de bain pour quelques ablutions matinales.
Face au miroir, elle ne put s'empêcher de sursauter. Elle avait ce qu'on appelait communément une très sale gueule, pas la même que suite à cette période où elle avait à peine survécu, rongée par l'épuisement, la malnutrition et ses différentes addictions, mais pas tellement mieux. Les traits tirés, les yeux cernés à cause de ses cauchemars, l'air abattu et le teint pâle, presque fiévreux.
Pourquoi continuait-elle à endurer et à s'infliger tout cela ? Pourquoi n'avait-elle pas la force de tout arrêter comme elle avait déjà essayé de le faire ?
Ces questions étaient de plus en plus présentes dans ses pensées, ce qui l'avait poussée à rédiger cette lettre, au cas où.
Un grommellement de contrariété franchit ses lèvres lorsqu'elle constata que sa main droite était agitée de tremblements incontrôlés. Avant la fin de la journée, ils auraient probablement gagné l'ensemble de son corps. Entre douleurs, pensées morbides, fatigue, réalité impossible à masquer et tremblements, le manque était vraiment difficile à supporter.
Le bruit de la porte dans l'entrée lui indiqua que Martial était de retour après avoir accompagné les enfants à l'école, où ils étaient parmi les derniers élèves, tous réunis dans une unique classe sous la direction du seul instituteur qui restait dans l'établissement.
Roxanne prit une profonde inspiration et se passa de l'eau froide sur le visage en se répétant mentalement que ça allait aller, cherchant à se convaincre elle-même, et qu'elle réussirait à faire bonne figure face à Martial, c'était juste une question de volonté. Du moins, voulait-elle s'en persuader.
Après s'être épongé les joues, sa main gauche tremblant également à présent, elle rejoignit Martial qui venait de s'installer au salon, une liasse de documents sur les genoux, sûrement quelque chose en rapport avec sa situation.
Relevant son regard sur elle, il s'enquit, bien que c'était évident pour son œil expert d'inspecteur, même suspendu :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant