Chapitre 4 - Victor et les drôles de dames

37 10 18
                                    

Tout ce qui l'entourait était flou et il était donc incapable de reconnaître l'endroit où il se trouvait, intérieur ou extérieur, France ou Angleterre ? Impossible de le savoir.
En revanche, les émotions étaient d'une douloureuse précision, réelles et terriblement présentes à le faire hurler mais il ne pouvait pas exprimer sa souffrance ainsi. Il était prisonnier de ces images encore plus que de la douleur.
Il y avait également les visages. Eux étaient parfaitement reconnaissables et identifiables, tout aussi douloureux que les sentiments qu'ils éveillaient. C'était ceux de sa famille, lui souriant et veillant sur lui avec tendresse, lui réchauffant le cœur comme ce n'était plus arrivé depuis longtemps, mais, soudainement, tout se teinta de rouge, comme si un voile sanglant venait de tomber sur la scène. D'ailleurs, du sang apparut en forme de fleur sanglante s'épanouissant au creux de la poitrine des membres de sa famille et tous s'écroulèrent.
Il resta le seul debout au milieu de tout ce rouge où chaque expression de peur et de douleur, où chaque détail des blessures lui apparaissaient. Durant un instant qui lui parut affreusement long, où il ne put rien faire d'autre que de subir la vision de cette terrible scène, il fut incapable de bouger, si bien qu'il douta un instant d'être réellement présent, puis il fut de nouveau maitre de ses mouvements.
Il se précipita alors vers la personne la plus proche, son frère Wesley, qu'il prit dans ses bras pour tenter de l'appeler et de le secouer, mais, alors qu'il le soulevait pour le serrer contre lui, ce ne fut plus Wesley qu'il eut face à lui.
Son visage se transforma en un autre, un visage rond aux pommettes rosées, où s'ouvraient deux magnifiques yeux bleu clair luisants de bienveillance qui le regardaient avec amour et qui pansaient ses plaies. Le visage de Lucille, sa Lucille qui ne l'avait pas jugé et qui, au contraire, l'avait compris et pardonné, soignant sa douleur, mais qu'on lui avait arrachée.
En cet instant, il avait de nouveau l'occasion de la tenir contre lui, de l'étreindre, de lui répéter qu'il l'aimait, en anglais comme en français, encore et encore, mais il ne put en profiter bien longtemps.
La jeune fille, qu'il serrait contre son cœur comme la chose la plus précieuse en ce monde, exactement ce qu'elle représentait à ses yeux, se raidit et sa peau sembla se flétrir jusqu'à ce qu'il n'ait plus qu'un squelette dans les bras. Tout ce qu'il garda dans les mains fut une poignée de poussière qui fut emportée par le vent.
Il ne lui restait plus rien, il était totalement seul, sans rien à quoi se raccrocher, à part la haine et la colère qui le submergèrent en une puissante vague négative et le voile rouge qui colorait toute la scène n'était plus celui du sang.
Ce n'était cependant pas car il puisait sa force dans toute cette rage que la douleur était moins violente, au contraire. Elle avait une intensité telle qu'il aurait pu en hurler, qu'il aurait voulu hurler, mais il en était incapable. Sans qu'il ne sache pourquoi, aucun son ne sortait de sa gorge.

Victor se redressa soudainement sur son lit, un hurlement de bête blessée jaillissant de ses lèvres, en se débattant, contre ses draps et des bras qui tentaient de le maîtriser, accompagnés d'une voix qui lui disait de se calmer.
Les émotions exacerbées lors de ce songe s'estompant sans pour autant s'effacer, Victor prit conscience que ce n'était qu'un cauchemar, reprenant et mettant en scène les traumatismes de sa vie qui le torturaient. Juste un cauchemar, pas la réalité, alors il s'apaisa, bien que son cœur cognait brutalement contre ses côtes et qu'il sentait des larmes de rage et de douleur brûler son œil unique.
Calmé, pour ainsi dire, Victor reconnut Aurore, se tenant appuyée sur le lit d'un genou sur le matelas, qui lui serrait les épaules, l'air inquiet.
Que Victor fasse un cauchemar n'avait rien d'exceptionnel. Au contraire, il s'agissait même plutôt d'un phénomène régulier qui se produisait presque tous les soirs, mais, même si c'était habituel, ça affolait toujours tout le monde car il fallait toujours du temps pour que Victor s'apaise et se défasse de ses songes, dont il n'évoquait jamais le contenu avec personne, ce qui était éprouvant pour tous. Plus généralement, voir leur commandant dans un pareil état était inquiétant.
Constatant qu'il revenait à la réalité en écartant ce songe éprouvant, Aurore passa une main dans ses mèches blondes collées par la sueur en un geste fraternel pour le rassurer. Victor soupira profondément. C'était souvent Aurore qui le réconfortait après un cauchemar.
La jeune fille de dix-neuf ans était bien plus douce et compatissante qu'elle ne le montrait dans son attitude, bien qu'elle brûle de colère, comme tous ceux qui se trouvaient ici.
Victor devait avouer que cette douceur lui faisait du bien, que c'était même important pour lui. Durant quelques secondes, c'était un peu comme si il retrouvait la chaleur et la tendresse d'une famille.
Ce court instant de paix ne dura guère car, comme fréquemment, il fut brisé par une voix qui cria en montant dans les aiguës jusqu'à devenir stridente :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant