Chapitre 12 - Un heureux événement

38 13 19
                                    

Après une nuit assez courte, entre l'expédition qui avait pris ce terrible tournant avec l'attaque d'Erika, le traumatisme de Margaux qu'elle s'était efforcé de soulager comme elle le pouvait, le peu de temps qu'elle avait pu accorder à Shikou pour la rassurer, la confidence d'Aleksy qui avait eu besoin d'un moment pour se calmer après avoir exposé ses doutes et ses peurs, puis une rapide vérification de l'état de Nolwenn, qui se portait parfaitement bien grâce à l'intervention du magicien de Victor, et son sommeil qui s'était trouvé entrecoupés de réveils à cause de ses songes où s'étaient mêlés souvenirs de son passé et éléments présents comme Aleksy, Belladone eut du mal à trouver de l'énergie en se levant du lit de l'infirmerie, où elle avait passé la nuit pour rester avec Aleksy, pour s'atteler à sa mâtinée.
Elle ne pouvait se permettre de rester à s'attarder dans ses draps, quand bien même elle l'aurait souhaité, car, en tant que responsable de l'infirmerie, il lui fallait être disponible en toutes circonstances, bien que, pour les urgences, on se tournait plutôt immédiatement vers Chrissy ou Elisabeth, mais elle avait tout de même du travail.
En effet, elle avait quelques "visites" à mener. Il y avait Margaux, avec qui elle souhaitait parler plus longuement que la veille pour s'assurer de son état psychologique après la sanglante rencontre avec Erika, Eléa dont elle voulait vérifier l'entière guérison de la blessure, sur laquelle elle ne devait pas avoir de doute, ainsi que Gabriel, qui en avait été durement éprouvé, et, pour terminer, Raphaël.
Ce dernier souffrait encore de ces nausées presque incessantes depuis six semaines, ce qui commençait à devenir particulièrement inquiétant mais Belladone avait une idée dont il lui fallait s'assurer auprès du jeune homme.
En somme, la grasse mâtinée n'était pas d'actualité. Dans un soupir, elle s'extirpa du lit pour aller jusqu'au lavabo où elle s'aspergea le visage d'eau pour tenter de se réveiller davantage et d'effacer ses traits tirés puis, se redressant, son regard se posa sur Aleksy qui dormait encore.
Comme à son habitude et même dans le sommeil, il avait cette expression paisible et nonchalante, comme imperméable à la moindre préoccupation. Comment deviner qu'il gardait enfouis en lui de telles angoisses sous cette attitude ?
Belladone secoua la tête de gauche à droite. Pour l'instant, elle avait d'autres choses dont se soucier. D'ailleurs, tant qu'Aleksy suivait consciencieusement son traitement, elle n'aurait pas à s'en soucier.
Tout en menant ces quelques réflexions, elle passa machinalement une main dans ses cheveux et se rappela qu'une réelle toilette s'imposait. Elle devrait en avoir le temps puisque ses différents "patients" seraient toujours là lorsqu'elle serait davantage présentable.
Par précaution, elle posa la boîte de médicaments non loin d'Aleksy, bien en évidence, pour qu'il ne les oublie pas, puis elle se rendit dans une large pièce. Initialement utilisée comme vestiaire par les employés de l'entrepôt, elle avait subi quelques transformations pour offrir en nombre suffisant toutes les commodités d'une salle de bain.
Une rapide douche, qui contribua à délasser son corps à défaut de son esprit, plus tard, elle enfila une tenue propre, toujours dans la lignée de son style coutumier, puis passa devant le long miroir qu'elle se retrouva à partager avec une magicienne de la nature du nom de Camille et une femme prénommée Aglaé qu'elle avait déjà soignée pour une blessure au bras. Toutes se saluèrent de quelques banalités.
Belladone ne participa pas à la conversation, se sentant plutôt mal à l'aise dans de simples discussions ordinaires, n'étant plus à sa place dans le "monde normal" depuis plusieurs années, bien que le concept de normalité ait été grandement redéfini au cours de ces trois dernières années. Néanmoins, elle préféra que l'échange se poursuivre entre les deux jeunes femmes pour plutôt se concentrer sur ses ablutions.
Démêlant ses cheveux, dont la seule longueur était au milieu et à l'arrière, elle confectionna son chignon habituel puis se maquilla de noir en abondance autour de ses yeux bleu ardoise et de bordeaux foncé sur les lèvres. En un sens, il semblait plutôt absurde et même superficiel de se préparer ainsi dans ces circonstances mais continuer à avoir un rituel de "mise en beauté" chaque matin contribuait à garder pied et à avoir l'impression de conserver un certain contrôle au milieu de toute cette situation.
Elle ne s'attarda pas pour autant face à son reflet et réunit rapidement ses affaires qu'elle ramena dans sa chambre, qu'elle n'occupait décidément que très peu ces derniers temps.
Restant dans cette partie du hangar où l'on avait aménagé plusieurs des chambres, elle frappa à la porte de l'une d'entre elles. Personne ne lui répondit alors elle insista encore à quelques reprises jusqu'à ce que Marianne sorte de la chambre contiguë, accompagnée de Margaux.
Les voir ensemble ne surprit Belladone qu'à moitié comme elle avait constaté la veille que la première s'était chargé de réconforter la seconde, ce qu'elle continuait apparemment à faire. Belladone en fut soulagée car elle n'aurait donc pas à jouer les psychologues à une nouvelle reprise alors qu'elle jugeait l'avoir déjà suffisamment fait.
La jeune femme à la peau ébène lui apprit qu'Eléa et Gabriel, dont elle venait s'assurer du bon rétablissement, étaient en bas avec Monsieur Belforde pour commencer à organiser leur prochaine opération en faveur de l'égalité.
À cette information, Belladone émit un claquement de langue désapprobateur en s'agaçant car elle avait pourtant ordonné aux jeunes gens de se reposer après le choc de la blessure d'Eléa.
Marianne haussa les épaules, plutôt d'accord avec Belladone à qui elle précisa que, sans qu'elle ne sache pourquoi, Eléa paraissait s'investir encore davantage dans leur cause depuis la veille, presque comme si elle avait eu une révélation ou quelque chose comme ça qui la poussait à devenir encore davantage un pilier central de leur groupe. Belladone arqua un sourcil à cette analyse de Marianne. Elle en revenait encore à la psychologie alors que son domaine était plutôt centré sur le physique.
Quoi qu'il en était, si Eléa et Gabriel s'occupaient d'une tâche ainsi c'était qu'ils se portaient mieux et avaient besoin de travailler. Ça lui faisait un élément en moins sur sa liste, même si il était probable que, par conscience professionnelle, elle s'enquérait tout de même de leur état lorsqu'elle les croiserait.
Sachant donc à présent à quoi s'en tenir en ce qui concernait Eléa et Gabriel, la jeune femme remercia Marianne pour cette information et rappela à Margaux qu'elle était à sa disposition au besoin. La jeune fille répondit qu'elle n'aurait pas voulu la déranger davantage et que, ayant trouvé une oreille attentive auprès de Marianne, ça aurait dû aller. Belladone acquiesça.
Encore un soucis en moins, la journée débutait assez bien, finalement.
Prenant congé des deux jeunes femmes, elle se dirigea vers la chambre occupée par Salim et Raphaël pour ausculter ce dernier plus en détails pour comprendre la cause de ces nausées persistantes, car il était devenu évident que ce n'était pas seulement une simple gastro, ayant dépassé les trois jours de durée réglementaire de cette maladie d'environ cinq semaines.
Cette fois non plus, personne ne vint lui ouvrir sauf que, là, il n'y avait aucun voisin pour lui expliquer où se trouvaient les deux jeunes gens, personne ne les ayant vus sortir. À moins qu'ils ne soient pas sortis, ce qui aurait expliqué que personne n'ait repéré leur direction. Dans le doute, Belladone toqua à une nouvelle reprise puis, n'obtenant toujours aucune réaction de l'autre côté, elle se permit d'entrer sans autorisation.
La serrure n'était pas verrouillée, ce qui n'avait pas grand chose d'étonnant comme, étant tous réunis ici par le même idéal et volonté de cohabitation égalitaire, personne n'était spécialement attiré par l'idée de subtiliser les affaires d'autrui. Dans tout les cas, cette habitude de minimiser la sécurité facilitait les choses à Belladone. Ça lui épargnait d'avoir à forcer la serrure.
Comme elle l'avait prévu, la pièce était vide de présence. Il y avait seulement le lit défait avec les draps roulés en boule au milieu du matelas deux places.
La jeune femme ravala un grommellement en s'adossant contre le chambranle de la porte, les bras croisés sur la poitrine, se demandant comment mettre la main sur Raphaël, surtout qu'elle ne comptait pas passer des heures à lui courir après.
Pour se simplifier les recherches, elle choisit de directement téléphoner au jeune homme pour lui demander où elle aurait pu le rejoindre mais, alors qu'elle s'emparait de son portable, celui-ci émit une chanson de Halestorm, lui signalant qu'on cherchait à la joindre. Sur l'écran s'affichait le nom d'Aleksy, qui devait donc certainement s'être réveillé.
Pourquoi aurait-il besoin de l'appeler ? Se trouvait-il incapable de se passer d'elle depuis la veille ? Elle espérait que non car elle préférait ne pas se lier avec des attaches trop solides.
Les sourcils froncés, la jeune femme décrocha en demandant directement à Aleksy ce qu'il voulait sans lui laisser le temps de prononcer une syllabe en premier mais, ne se laissant pas déstabiliser par cet accueil, Aleksy lança :

Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant