L'esprit embrumé, les membres lourds et parcourus de picotements, le corps encore tremblant et les souvenirs imprécis, Aurore tenta de se redresser sur ce qu'elle découvrit être un lit. Dans cet état d'épuisement intense, la jeune femme regarda autour d'elle pour reconnaître l'ancien appartement de l'immeuble abandonné qu'ils avaient aménagé en infirmerie gérée par les magiciens guérisseurs de la faction, là où Roxanne avait fait un long passage.
En constatant le lieu où elle se trouvait, les images des dernières heures revinrent à la mémoire d'Aurore, comment s'échapper de la bibliothèque avait été difficile. Elle avait même cru qu'ils n'allaient pas pouvoir s'en tirer à un moment, et il leur avait fallu user de toutes leurs ressources pour réussir à se frayer un chemin jusqu'à l'extérieur, utilisant leurs magies respectives jusqu'à leurs limites mais c'était pourtant ce qui leur avait permis de survivre.
Anastasia avait également eu recourt à son arme à de nombreuses reprises, autant que possible jusqu'à être à court de munitions. Aurore se souvenait aussi des actions de Liroy qui avait autant éliminer leurs adversaires que bloqué le passage à leurs poursuivants à l'arrière grâce à sa télékinésie.
D'ailleurs, tous deux étaient allongés sur un lit non loin d'elle, Liroy totalement sans connaissance et Anastasia gémissant dans son sommeil pendant que Jean s'occupait de la balle qu'elle avait reçu dans le bras. Aurore se souvenait vaguement de cet incident et de comment Liroy l'avait soutenue tout en continuant à se servir de ses pouvoirs.
Poussés par l'adrénaline et leur instinct de survie, ils avaient regagné leur quartier général mais Aurore ignorait comment. Dès qu'ils avaient franchi la porte, ils s'étaient écroulé, totalement à bout de force.
Sans doute les avait-on donc ensuite transportés à l'infirmerie pour leur dispenser les soins nécessaires, seulement du repos dans son cas et celui de Liroy, mais, si la blessure d'Anastasia n'était pas encore guérie, Aurore pouvait facilement en déduire que son inconscience n'avait pas duré longtemps. Le confirmaient également tous les symptômes d'épuisement traversant son corps qui indiquaient qu'elle n'avait pas pris le repos suffisant pour se remettre.
Certainement serait-elle diminuée durant quelques jours, comme Liroy et Anastasia, qui, eux, ne s'étaient même pas réveillés.
Remarquant qu'elle avait repris conscience, Jean détourna le regard de la blessure d'Anastasia, qui semblait complexe à soigner et donc exiger une assez grande concentration, pour le poser sur elle et lui faire signe qu'il venait vers elle dès qu'il en aurait terminé. Aurore haussa les épaules.
Qu'il prenne tout son temps. Que pourrait-il bien faire de toute manière à part lui dire de se reposer un maximum et de ne pas trop en faire, ce qu'elle avait déjà deviné toute seule ?
Dans un soupir, la jeune femme remonta les genoux pour y appuyer son crâne bourdonnant, enfouissant son visage entre les draps qui la recouvraient. Ainsi, elle pouvait soutenir sa tête, trop lourde pour réussir à la maintenir sans appuie, mais aussi dissimuler les larmes qui montaient à ses yeux marines.
Ce n'étaient pas des pleurs de fatigue qui brûlaient de la sorte son regard. C'était de la peine, uniquement de la peine causée partiellement par la violence qu'ils avaient affrontée aujourd'hui dans cette bibliothèque mais c'était encore négligeable. Elle savait déjà depuis longtemps de quelle violence et de quelle cruauté les non-magiciens qui ne comprenaient pas pouvaient faire preuve envers les gens comme elle.
Ce qui l'attristait vraiment était l'absence d'Alana qui avait choisi de rentrer avec les égalitaristes plutôt qu'avec eux. Elle allait se sentir vraiment très seule sans la jeune femme aux yeux roses à présent.
Évidemment, il y avait tous les autres membres de la faction, par ailleurs assez nombreux, mais Aurore entretenait avec eux des relations qu'elle aurait davantage qualifié de professionnelles à la poursuite d'un objectif commun, que ce soit avec Victor, les autres "généraux" ou tout le reste du groupe, alors qu'avec Alana, elle avait noué une véritable amitié sur laquelle elles s'étaient mutuellement reposé pour supporter cette situation difficile. Sans elle, les choses allaient s'avérer particulièrement dures.
Sans compter que, à rajouter à cela, il y avait la sensation que l'organisation et le fondement de leur mouvement étaient ébranlés et menacés, comme si il ne pouvait plus tenir et allait s'écrouler sur lui-même.
Après tout, c'était le commandement, la tête même de la faction, qui se délitait lentement : Lavande avait disparu, Erika avait été chassée par Victor qui, d'ailleurs, lui-même pouvait sembler dépassé par les derniers événements et cet affaiblissement qui lui échappait, et Alana leur avait tourné le dos pour rejoindre leurs principaux adversaires.
Évidemment, on pouvait prétendre qu'Alana avait été capturée, forcée de suivre les cinq égalitaristes comme Irwan l'avait attrapée sans que personne ne puisse réagir, ce serait d'ailleurs la façon dont serait "officiellement" relaté l'incident, mais Aurore considérait que ça aurait été se mentir et se voiler la face. Elle avait vu le regard d'Alana et l'avait compris. Parfois, être proche signifiait aussi décrypter chez l'autre même ce qu'on ne souhaitait pas savoir. Ça avait été sa décision de les accompagner au détriment de ses compagnons.
De son point de vue, Aurore avait bien des raisons d'être triste. En plus d'avoir le sentiment de se faire abandonner par la seule amie qu'elle avait, il y avait également celui d'assister impuissante au lent, si lent qu'on ne pouvait pas réellement l'appréhender, effondrement de leur faction et, avec lui, l'éloignement de l'atteinte de leur objectif, or, elle y avait vraiment, profondément cru, elle avait besoin d'avoir l'espoir fondé que leur travail allait permettre de rendre leur place légitime si longtemps spolié aux magiciens, car c'était la seule chose qui lui restait encore.
Serrant ses bras autour de ses genoux, elle chercha à puiser du réconfort en elle-même tout en sanglotant doucement dans les draps mais pas pour davantage de temps car, entrant dans l'infirmerie brutalement, certainement paniqué en apprenant dans quel état ils étaient revenus de leur expédition avec un membre en moins, Sylvain se précipita vers elle pour s'enquérir de son état, suivi de Victor, qui faisait preuve de plus de retenue et de réserve – le célèbre flegme britannique peut-être ?

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Les Yeux du Pouvoir - Tome 4 : Vert Ombre [Terminé]
ParanormalTrois ans se sont écoulé depuis la mort de Lucille. Traumatisé par celle-ci, Victor a refusé de se rendre et Saint-Théophile est aujourd'hui une véritable zone de non-droit désertée par sa population où s'affrontent les suprématistes magiciens, men...