Chapitre 3

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Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

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Joachim Du Bellay, Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage.

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Chapitre 3 :

Itaque.

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Très exactement neuf heures et demi après avoir faillit mourir de manière extraordinairement stupide, Harry et Scath posèrent le pied sur le trottoir de leur maison avec une inspiration soulagée.

Face à eux, la demeure du 666 rue des Infernaux (anciennement 57 rue Blandin mais qui était quand même drôlement plus classe depuis que Gaby l'avait renommé) se dressait dans toute sa splendeur. Les murs couleur briques avaient des allures d'ébène dans la nuit noire, et le gazon quasiment impeccable du jardin ne laissait deviner de temps à autre qu'un bosquet d'herbes folles qui se balançaient dans le vent.

Somme toute, lorsque des visiteurs ne passaient pas par là, la maison des Sovrano était étrangement normale.

_J'avais presque oublié à quel point on se les gèle en Angleterre, grogna Scath. Et combien c'est humide.

Il pleuvait en effet, de petites gouttes timides et régulières que le béton et la terre absorbaient goulument ; plus tard dans la soirée, ce serait un rideau de pluie qui s'abattrait sur le monde et dégoulinerait le long du caniveau en tressant des rivières éphémères. C'est aussi à ce moment que le rhume dont Scath avait menacé Harry plus tôt dans la journée se présenterait à elle avec un grand sourire.

Toutefois, en cet instant de nuitée estivale que rien n'aurait du troubler, personne ne pouvait prédire tout cela. Pourtant, il y avait un arrière-gout de malaise dans l'air ; la remarque de Scath mourut sous les étoiles et un silence vagabond roula dans la petite rue sombre.

Tournés vers la bâtisse, le corps tendu vers le jardin déjà trempé, les Sovrano ne bougeaient pas. Ils ne parlaient plus et ne semblaient même pas avoir conscience de l'autre quand, après leurs retrouvailles, ils s'étaient sentis si proches.

Paralysés, les deux adolescents n'osaient pas avancer.

Il y avait dans le regard bordé de cernes d'Harry une lueur indécise. Rentrer chez lui, c'était tout ce dont il avait rêvé pendant deux longs mois dans une ville étrangère. Mais à présent, il doutait ; de lui, de la maison, de tout.

Et si plus rien n'était jamais pareil ? Et si, en s'éloignant, en cédant comme il l'avait fait deux mois plus tôt à ce sommeil trompeur qui l'avait fait changer de pays, il avait tout gâché ?

D'un coup il n'était plus sûr de quoi que ce soit. Il ne se connaissait plus ; et il ne connaissait plus le monde. L'obscurité, les murs rouges et le gazon, tout cela appelait trop de brume et pas assez de souvenirs. Il avait vécu, il avait rit, il avait grandi ici ; mais tout ce qu'il voyait dans cette demeure, c'était Gaby qui pleurait contre lui.

La Saga des SovranoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant