Chapitre 5

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Chapitre 5 : Les Chants du Mal d'Aurore.

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Gonna give you all my love, boy,
My fear is fading fast,
Been saving it all for you
_'Cause only love can laaaast... You're so fine, and you're miiine...

Quelques grésillements se faisaient entendre depuis les écouteurs de Safia, témoins de la qualité pitoyable de son casque audio. Dans sa main aux courts ongles qui avaient hâtivement été peinturlurés d'un rose flashy qui s'écaillait déjà, le brave walkman faisait tourner le CD de Like a Virgin sans vaciller, et ce malgré les secousses que lui imprimait le mouvement de bras saccadé de sa propriétaire, qui se trémoussait régulièrement au rythme de la chanson.

La voix de Madonna ronronnait les paroles en prenant des accents de jeune écolière, accents que Safia tentait avec de reproduire avec une vaillance qui, bien que vaine, forçait tout de même l'admiration.

Elle rentrait d'une après-midi avec son groupe d'amies au terrain de basket communal, qu'elles affectionnaient particulièrement pour ses larges haies touffues, ses bancs, et la révulsion qu'il inspirait à la police et aux gens de bonne éducation de Godric's Hollow. Là-bas, la bière bon marché et les discussions coulaient à flots, parfois agrémentés d'un petit joint pour quiconque en avait les moyens.

Like a virgin, hey,

Touched for the very first time,

Sans cesser de chantonner, Safia pressa le pas et rajusta machinalement son casque. Le quartier banlieusard du village était entre chien et loup ; les immeubles fades de la cité des Champs projetaient de longues ombres grises sur le trottoir jonché de mégots et de chewing-gums, et elle ajouta sans réfléchir le sien au tableau du bitume.

Elle commençait à regretter le petit top blanc qu'elle avait mis ce jour-là, non pas pour son décolleté plongeant (Safia Majeed avait depuis longtemps comprit qu'avoir honte de son corps était pour les riches filles blanches qui n'avaient que ça à faire de leurs journées), mais parce que le large espace qu'il laissait dans le dos était à présent exposé à la bise frisquette du soir.

Like a virgin,

With your heartbeat,

Next to mine,

Sa montre en plastique vert affichait neuf heures et quatorze minutes. Safia déglutit. Elle n'avait pas prévu de passer autant de temps avec les autres filles -elle n'était pas inquiéte pour sa sécurité, quoi que les parents des beaux quartiers puissent seriner, à tort ou à raison, à leurs enfants, mais à propos de sa mère.

Jaswinder Majeed n'était pas connu pour tolérer les écarts de ponctualité de ses enfants.

Safia pouvait déjà sentir déjà sa joue la bruler. Ses fines lèvres, qui ne portaient plus qu'un spectre du gloss pailleté dont elle les avait couvertes plus tôt dans la journée, se plissèrent dans une moue dégoutée.

Elle allait encore se faire hurler dessus en Pachto, et allait devoir supporter les regards railleurs du voisinage le lendemain matin, qui lui comprenait ce que sa mère disait.

You're so fine-

Prises dans ses pensées et la musique, la jeune fille ne remarqua pas le nid de poule, résultat d'une éternité d'absence d'entretien de la voirie par un conseil communal plus occupé à détourner les yeux de l'amas d'antennes et de chômeurs que constituaient les Champs qu'à maintenir les chaussées en bon état, qui se présentait à son pied, et glapit de surprise et de douleur en sentant ses orteils accrocher le goudron.

La Saga des SovranoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant