Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit

Chapitre 1, Partie 1

DEUX ANS PLUS TARD

Mais comment Alyssa a-t-elle pu me faire une chose pareille ? Je n'avais rien demandé. Je m'étais fixé un anniversaire simple, discret, sans cadeaux ni fioritures. Au lieu de ça...

Je jette un dernier coup d'œil désespéré à notre salon. La pièce, lumineuse et spacieuse, explose de couleurs vives : mon regard s'attarde sur les nœuds roses lacés autour des vases, des rideaux et des poignées de porte. Des pétales jaunes jonchent le sol clair. Dans un coin, derrière le canapé, une montagne de cadeaux multicolores m'attend.

Pourtant, ce n'est rien à côté de l'énorme gâteau au chocolat serti de cœurs en sucre, confectionné par ma colocataire. Il est posé sur la nappe fleurie achetée pour l'occasion.

Non, vraiment, personne n'imaginerait une seule seconde que je fête mes vingt-deux ans.

J'entends le son caractéristique des talons aiguilles sur un plancher et me retourne. Alyssa Martinez, ma meilleure amie, me rejoint dans un friselis de couleurs et de parfum, et m'enlace avant que je n'aie le temps d'admirer sa tenue.

— Am, il faut vraiment que tu ailles te changer !

Tu parles. Bien sûr que je vais aller me préparer. Je porte encore mon jogging gris que je mets pour aller courir à Miami Beach. Mon top blanc est humide et mes baskets pleines de sable. Mes yeux turquoise et mes cheveux blond-platine sont ma seule fierté, bien que ces derniers soient emmêlés après ma course et que quelques mèches collent à mon cou en sueur.

Alyssa, elle, est sublime. Ses courbes sont habilement mises en valeur par la coupe de son vêtement. Elle est moins svelte que moi, mais ses formes harmonieuses font des ravages à la fac. Ses longues boucles rousses sont soigneusement relevées autour de son visage de poupée par de petites barrettes bleues, assorties à sa tenue. Elle porte une robe à bustier semblable à une aquarelle, dévoilant des jambes pâles et galbées, terminées par des escarpins à la hauteur démesurée. À sa taille, une ceinture verte nouée sur le devant complète l'ensemble, du même émeraude que ses yeux. Un gloss discret luit sur ses lèvres pulpeuses. Elle sourit, révélant des dents alignées parfaitement blanches.

— Va vite te faire belle, je t'ai acheté une magnifique tenue avec des chaussures et des accessoires assortis.

Elle rayonne de joie. Partiellement parce qu'elle adore les fêtes, mais surtout car qu'elle sait que je les déteste. Ce qui l'amuse d'autant plus.

— Dépêche-toi, m'ordonne-t-elle tout excitée. Les invités arrivent dans une demi-heure.

Au comble du désespoir, je lui jette un regard suppliant. Mais la traîtresse secoue la tête, pouffant de rire, puis me désigne l'escalier. Je n'ai pas le choix.

Perdue dans mes pensées, je gravis les marches puis pénètre dans la chambre d'Alyssa. Nous sommes en colocation avec Tyler Rivera, le dernier membre de notre inséparable trio, dans une luxueuse maison à double niveau du quartier de Coconut Grove, à Miami. Aly a vingt-deux ans depuis quelques mois et Tyler en a presque vingt-trois. Nous étudions tous les trois à l'Université de Miami depuis que nous avons quitté New York il y a trois ans. Bien sûr nous n'avons rien à payer, ni loyer, ni frais de scolarité, ni quoi que ce soit d'autre. D'autres s'en chargent pour nous.

Je trébuche sur les ballons tapissant le sol et grommèle. Comme le reste de ces rassemblements sociaux futiles et hypocrites, je déteste les fêtes d'anniversaire.

Cela faisait longtemps que je n'avais plus tenté de me lier véritablement à d'autres personnes qu'à Aly et Ty. Trop méfiante, trop solitaire, trop sombre parfois, au contraire de mes deux camarades qui avaient respectivement la solide réputation de reine de l'école et de meilleur sportif du campus. C'était chaque jour un petit troupeau de fidèles qui se pressaient autour de nous trois. Beaucoup d'étudiants se demandaient qui nous étions vraiment. Des sortes de mystères : sans parents, tuteur inconnu, en colocation dans une villa gigantesque, riches comme Crésus, taillés comme des athlètes, et dotés de réflexes ultra-rapides. Il était ainsi difficile de respecter la règle à laquelle nous avions autrefois consenti : jouer les ados parfaitement normaux et rester discret, tout en reprenant une vie tout aussi normale dans le Sunshine State.

Une robe m'attend, étendue sur le lit. Une robe simple, blanche, légère, garnie d'un fin fil doré traçant des motifs compliqués. Je me dévêts puis essaye la tenue. Elle me va à ravir. Je trouve également des sandales à talon, ainsi qu'un bracelet et un collier en or.

Je m'inspecte du regard dans la glace. Même si son amusement à me faire tourner en bourrique m'exaspère, j'adore Alyssa. Elle est drôle, belle, positive, sincère, loyale, et je dois reconnaître qu'elle a un sens aigu de la mode. Ma tenue est superbe. Le miroir renvoie l'image d'une jeune femme assurée, et je me trouve plutôt jolie. Finalement, je vais peut-être m'amuser à cet anniversaire. Il s'agit du mien, après tout.

Alors que je me dirige vers la salle de bain pour me coiffer et me maquiller, je me rends compte que j'ai oublié d'accrocher le bracelet en or. Même si je le trouve magnifique, je ne peux me résigner à le mettre. Bien tenté, Aly. Je m'assieds sur le tabouret devant la coiffeuse puis contemple mon poignet avec tristesse, où est déjà attaché un autre bijou. Celui-ci est simple, beaucoup moins coûteux que le cadeau d'Alyssa. Une chaîne en argent, gravée d'une phrase. Mon cœur est pour toi. Il m'a été offert par Jake.

Jake. Chaque fois que je repense à lui, à cette nuit de décembre où tout s'est fini, d'autres souvenirs douloureux m'assaillent. Je frissonne et cligne des yeux, chassant en vain de mon esprit les fragments de mon passé qui y subsistent. Le jour où il m'a offert ce cadeau, une belle journée d'été où mon monde semblait enfin avoir trouvé une douce et divine résonance à la rudesse de ma vie. Ce même jour où il m'a dit qu'il m'aimait.

Je m'en rappelle parfaitement ; ma mémoire a conservé ce souvenir, clair comme de l'eau de roche. Je ne pourrai jamais oublier.