L'immeuble tout entier se dérobe sous mes pieds.
C'est en tout cas ce que je ressens, lorsque mon frère prononce ces paroles. Chacune de ses phrases est comme une lame lancinante à travers de mon corps. Le vent qui fouette mon visage est glacial.
— J'en suis désolé, Amber, continue-t-il d'une voix doucereuse. Je doute que Jake ne t'ait jamais aimé sincèrement... Voilà d'ailleurs pourquoi il ne m'a pas été très difficile de l'achever.
Il n'exprime aucun remords, tandis que je m'effondre mentalement.
— Tu mens.
— Je t'assure que je préférerais que tout ne soit pas si compliqué. Comme si nos vies à tous les deux n'étaient pas assez éprouvantes. Il fallait en prime que tu sois encore plus singulière que tu ne l'es déjà.
— De quoi parles-tu, Eden ? Qu'est-ce que je suis ?
— Je n'en reviens pas de devoir te l'apprendre. Je pensais simplement avoir à te mettre en garde contre les Vampires qui en ont après toi, et voilà que je me retrouve à t'annoncer que tu n'es même pas humaine.
Le choc est si violent que mes jambes flageolent. Je me résous à m'asseoir, cherchant à m'accrocher à tout ce que je trouve.
— Pas humaine ?
Il soupire, et pour la première fois depuis que nous sommes tous les deux face à face, je le sens en difficulté. Il est sincère. Il n'imaginait vraiment pas devoir me faire ce genre de révélations. Nous sommes maintenant tous les deux assis sur le toit de ce gigantesque immeuble, et pendant un court instant, j'ai l'impression que nous ne sommes qu'Amberly et Eden Johnson.
— Je ne suis définitivement pas la personne la plus à même de te parler de ça. Chez les Vampires, vous êtes une sorte de mythe. Personne ne sait vraiment ce que vous êtes, mais votre pouvoir est légendaire. Vous êtes nos plus redoutables ennemis.
— Je ne suis pas humaine, je répète, hébétée.
Si je ne connaissais pas Aaron, et si j'ignorais qu'il existait d'autres espèces que les humains ou les Vampires, je n'aurais jamais cru mon frère. Mais Aaron n'était ni l'un ni l'autre. Alors pourquoi pas moi ?
— Non. Et je ne peux t'en dire plus.
— Pourquoi ?
— Parce que je n'en ai pas le droit, et parce que cela porte malheur. Tout ce que tu as besoin de savoir, c'est que les miens ont appris ce que tu étais. Tu es certainement la menace la plus terrible à laquelle ils aient affaire sur tout le continent américain actuellement.
— Ils veulent me tuer ?
— Oh oui. Et ils sont déterminés. Tu dois être extrêmement prudente.
— C'est du délire...
Il réagit au quart de tour, se lève de son perchoir, et se campe devant moi. Il saisit mon visage entre ses mains glaciales et plante ses yeux rouges dans les miens.
— C'est loin d'être une plaisanterie. Tu n'imagines pas les risques que je prends à te rencontrer ici pour te parler de leur plan. Ne te méprends pas, ils sont cent fois plus puissants et nombreux que toi, ou même moi.
— Alors pourquoi, Eden ? Qu'est-ce que cela t'apporte, toi ?
Je me détache de son étreinte, recule davantage. Je ne dois pas faire l'erreur de me laisser guider par mes sentiments.
— Voilà une autre question à laquelle je ne peux pas répondre.
Et bien que cela fasse des années que ses yeux ne sont plus limpides comme de l'eau de roche, je lis encore en eux aisément. Il sait qu'il ne peut pas me mentir. Alors il choisit d'éluder la question.
— Depuis combien de temps n'avons-nous pas été dans le même camp ?
Je ris nerveusement. Je ne dois pas oublier à quoi j'ai affaire. Je resserre ma poigne sur mon arme. Il sent ma tension.
— Il est difficile de savoir qui est le plus menacé par l'autre, à l'heure actuelle, n'est-ce pas ?
— Tu crois que je pourrais te tuer ?
— Et moi, tu crois que je pourrais ?
— Il y a une grande différence entre pouvoir et vouloir, Eden. Je pense que si tu le voulais, tu l'aurais déjà fait.
L'assurance dans ma voix semble le convaincre, alors qu'il n'en est rien. Il laisse échapper un petit rire, et s'avance une fois de plus vers moi.
— Tu m'as manqué.
Il s'approche encore, et c'est alors que je réalise que mon énergie mentale est presque au plus bas, et qu'il tente d'abuser de mon état. Ses révélations m'ont épuisée. Il est temps de fuir.
— Je dois y aller. Adieu, Eden
— Nous nous reverrons bien assez tôt, me contredit-il.
Je fais fi de sa tirade et tourne les talons. Je laisse mon frère seul. J'ai l'impression de m'extraire peu à peu de l'emprise d'une sirène, recouvrant la raison à mesure que je m'éloigne de son chant envoûtant. Chaque pas que je fais est à la fois dangereux, déchirant, et libérateur. J'ai peur qu'il ne se jette sur moi et me tue d'un coup de dents. J'ai peur de le revoir. Et j'ai encore plus peur de ne plus jamais le revoir.
Tandis que je me dirige vers l'escalier, espérant secrètement qu'Eden m'arrête, une discussion avec Aaron me revient en tête.
— Tu considères vraiment avoir perdu ton frère lorsqu'il a été transformé en Vampire ? m'avait-il un jour questionné, alors que nous venions à peine de nous rencontrer.
J'avais acquiescé.
— C'est bien, avait-il murmuré. Tu as raison. Il ne reste plus rien de lui désormais.
Sa voix continue de résonner en moi. Je me répète ses paroles, comme une prière. Elles me donnent la force de m'éloigner d'Eden.
Et pourtant, comme s'il avait lu dans mon esprit, mon frère lance dans mon dos, pour me retenir :
— J'ai entendu dire que le Centre s'était doté d'un nouvel entraîneur.
À ces mots, je me raidis, me gardant de faire volte-face. Je prends soin de me retourner lentement après avoir effacé toute trace de surprise de mon visage.
Le cœur battant, j'acquiesce. Je n'ai qu'une idée en tête : protéger Aaron à tout prix.
— Il a des comptes à rendre à certains de mes amis. Malheureusement, ils ne sont pas du genre à lâcher l'affaire facilement. L'un des nôtres t'a aperçue avec lui, l'autre soir. Vous aviez l'air très complices...
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, je déclare dans un souffle.
— Oh, allons, Amberly. Ne me dis pas que tu t'es à nouveau entichée du méchant...
— Je n'ai rien à voir avec lui.
— Mes amis se sont mis en tête de t'utiliser comme moyen de pression contre lui, continue mon frère comme s'il ne m'avait pas entendue. Et, je te prie de me croire, ce sont des gens plutôt radicaux. Tu viens de leur donner une deuxième bonne raison de t'éliminer. L'idée que tu sois traquée et tuée comme une vulgaire proie ne m'enchante pas. J'ai tout de même encore de l'affection pour toi.
Je me garde de répondre ; je vois ce qu'il essaye de faire : m'acheter en me persuadant que je compte toujours pour lui.
— Je tenais à t'en avertir. Tu es doublement en danger maintenant, ajoute-t-il.
Je hoche la tête. Nous nous confrontons du regard quelques instants, silencieux, avant que je ne fasse demi-tour, passe la porte, et dévale l'escalier, l'esprit et le cœur en miette.
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Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit
Vampire✨ GAGNANT D'UN WATTYS 2021 DANS LA CATÉGORIE FANTASTIQUE ✨ ✍️ 𝗦𝗢𝗨𝗦 𝗖𝗢𝗡𝗧𝗥𝗔𝗧 𝗗'𝗘𝗗𝗜𝗧𝗜𝗢𝗡 - 𝗔 𝗣𝗔𝗥𝗔𝗜𝗧𝗥𝗘 𝗘𝗡 𝗝𝗔𝗡𝗩𝗜𝗘𝗥 𝟮𝟬𝟮𝟱 𝗔𝗨𝗫 𝗘𝗗𝗜𝗧𝗜𝗢𝗡𝗦 𝗕𝗢𝗢𝗞𝗠𝗔𝗥𝗞 ✍️ 𝗘𝘁 𝘀𝗶 𝘁𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝘀𝗲𝗰𝗿𝗲𝘁𝘀 𝗱𝘂 𝗽𝗮...