Chapitre 18, Partie 2

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Au bout d'un long moment, nous entendons des voix s'approcher. C'est le groupe que nous avions quitté qui revient sur ses pas pour clore la visite. Nous nous levons avec discrétion, et lorsqu'ils passent devant la porte de la salle sans y rentrer, nous nous insérons à l'arrière du groupe, l'air de rien.

Arrivés dans le hall, David met fin à la visite, et nous remercie. Il reste quelques minutes pour répondre aux questions. Pendant ce temps, nous quittons le musée, et allons rejoindre la moto garée non loin des marches.

— Tu as sûrement faim ?

Je hoche la tête.

— Qu'as-tu envie de manger ?

Je réfléchis quelques instants.

— Quelque chose à emporter. Je n'ai pas assez d'appétit pour aller au restaurant.

— Très bien, approuve-t-il en souriant, dévoilant une rangée de dents impeccablement blanches. Je sais où t'emmener.

Nous enfilons nos casques et Aaron démarre, puis s'insère dans la circulation. Il nous conduit quelque part dans Long Island.

Lorsque nous nous arrêtons de nouveau, une alléchante odeur d'épices et de viande rôtie embaume l'atmosphère. Aaron stoppe sa moto sur un trottoir, aux abords d'un petit commerce d'où s'échappent les délicieuses senteurs. Quelques passants déambulent toujours et la plupart des magasins qui bordent la rue sont encore ouverts.

— Attends-moi là, d'accord ? Je reviens dans quelques minutes.

Il traverse l'avenue en courant et disparaît en pénétrant dans le restaurant.

Je reste assise sur sa moto, patiente, tentant de saisir le rôle des différentes commandes. Il s'est à peine écoulé deux minutes, lorsqu'un homme d'une vingtaine d'années, brun, plutôt petit, surgit de nulle part et m'attrape le poignet. Surprise, j'étouffe un cri, mais mes yeux s'écarquillent quand je découvre que les siens ont la couleur du sang. Un Vampire.

Ni une ni deux, je me dégage de son étreinte, et le bloque d'une clé de bras. Je saisis mon poignard et m'apprête à le lui enfoncer dans le cœur. Mais avant que je n'aie le temps de m'exécuter, il déclare sans reprendre son souffle :

— Eden veut que tu saches qu'il sera là, la prochaine fois ; il sera là pour toi. Rejoins-le.

Le Vampire, apeuré, termine sa tirade en fixant avec effroi mon arme. Il ne se débat même pas. Il n'est pas là pour me tuer. Seulement pour me délivrer un message. Tout s'enchaîne dans ma tête. Les passants, la rue éclairée, Aaron, mon poignard. Impossible de l'exécuter devant tout le monde.

D'un rapide coup de lame, je lui lacère profondément la gorge. Le Vampire gémit de douleur, et tente de se dégager pour comprimer la plaie qui déverse déjà un flot de sang. Il ne mourra pas de cette entaille.

— File, je lui ordonne à l'oreille, d'une voix menaçante.

Je le relâche, après l'avoir aussi blessé à l'arrière du genou. La créature déguerpit en un instant. Avec un peu de chance, elle se videra peut-être de son sang. Je guette les passants aux alentours. Personne n'a l'air d'avoir prêté attention à la scène.

Déboussolée, je tente de reprendre mes esprits avant le retour d'Aaron. L'avertissement du Vampire tourne en boucle dans ma tête. Eden. Eden sera là la prochaine fois. Lors de la prochaine mission, il sera là pour moi.

Je frissonne. Une boule s'est formée au creux de mon ventre. Lorsque Aaron revient, un sourire au coin des lèvres, avec un sac rempli d'alléchantes victuailles, je fais de mon mieux pour afficher une mine ravie. Il passe sans les voir sur les gouttes de sang qui constellent la route.

— J'ai pris un peu de tout. Leurs brochettes sont délicieuses.

Il me tend le sac, avant de grimper sur son bolide et de nous emmener manger sur les quais. Là, nous trouvons un endroit tranquille avec une vue imprenable sur l'East River. Nous dégustons notre repas presque en silence. Sans savoir pourquoi, Aaron comprend que je n'ai pas envie de parler, et se rend bien vite compte que je grignote à peine ce qu'il a acheté.

— Qu'est-ce qu'il y a ? finit-il par oser demander.

J'ai beau être une bonne menteuse, impossible de faire croire que tout va bien, le trouble se lit sur mon visage. Ma seule échappatoire est de fabuler sur l'origine de mon émotion.

— Je doute de plus en plus de Kristina. Que sais-tu d'elle ?

Il soupire.

— Je comptais t'en parler. Elle est extrêmement tendue par la situation, et cela ne lui ressemble pas. Tout son manège a commencé quelques jours après que vous ayez repris contact avec elle, lors de ton anniversaire.

— Tu es au courant de tout ça ?

— Évidemment.

— Alors, est-ce que... cela nous concerne ?

— C'est possible, acquiesce Aaron. Mais écoute, l'autre soir, elle est venue me voir à mon bureau. Elle a insisté pour que j'enquête personnellement à propos de l'un des petits groupes de Vampires qui nous posent problème, précisant que c'était d'une importance capitale pour elle. Elle m'a fait comprendre à demi-mot que les Vampires faisaient directement pression sur elle, sans cesser de répéter que tout cela devait rester top secret.

Il hésite, avant de se décider à ajouter :

— Elle me pose aussi beaucoup de questions à ton propos. Tout à l'heure, j'ai eu droit à un vrai interrogatoire pour savoir où nous allions. J'ai l'impression qu'elle s'inquiète pour toi, ou quelque chose comme ça. Son comportement ne présage rien de bon.

— Tu crois... Qu'elle pourrait être liée à la situation de Philadelphie ?

Aaron fronce les sourcils.

— Malgré tout, cela m'étonnerait. Kristina est la plus fiable en ce qui concerne les Vampires. Ce n'est pas pour rien qu'elle est directrice. Elle ne nous trahirait jamais de cette façon.

Je médite ses paroles en mâchonnant un bout de sandwich.

Nous finissons notre repas, puis reprenons la route. Je reste fermement attachée à Aaron durant tout le trajet. Lorsqu'enfin nous tournons dans le chemin qui mène au Centre, j'ai le sentiment d'être partie depuis des jours. La soirée m'a paru hors du temps.

Aaron coupe le moteur. Nous abandonnons sa moto sur le parking et pénétrons dans le hall du Centre.

— Tu veux faire quelque chose de particulier ? propose-t-il.

— Non merci, je vais aller me coucher.

Il semble d'abord légèrement déçu, mais l'expression de son visage redevient rapidement souriante.

— Merci pour cette fabuleuse soirée, j'ajoute. C'était génial.

— Ravi que ça t'ait plu.

Alors que je pense qu'il va me laisser là, il décide de m'accompagner jusqu'à mon studio. Arrivés devant la porte, je demande, la main tendue :

— Alors... Plus de faux-semblants ?

— Rien que le vrai moi, répond-il en serrant ma main, scellant notre accord.

— Encore merci.

Il hoche la tête et je rentre dans ma chambre.

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant