Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit

Chapitre 27, Partie 2

Durant les quelques jours que je passe alitée à l'infirmerie, je me remémore encore et encore ma conversation secrète avec Eden. Les heures qui s'égrènent dans le silence sont terribles. Trop d'émotions contradictoires finissent par former une énorme boule de pensées qui encombrent mon cerveau.

La plus forte d'entre elles, contre toute attente, est le deuil. J'ai l'impression de devoir dire à nouveau au revoir à Jake. Pourtant, cette fois-ci est bien plus douloureuse que tout ce que j'ai déjà vécu. Car ce que je perds là maintenant est infiniment plus précieux : la certitude de l'avoir vraiment connu, et qu'il m'aimait.

Après la souffrance, la perte et l'abandon, voilà que je découvre la trahison. Elle me déchire et me malmène comme un bateau sur une mer en pleine tempête. Contre les vagues je lutte, sur les roches aiguisées je me fracasse, et sous la houle je me brise indéfiniment. La trahison ne blesse pas ; elle tue.

Je ne pense même pas à remettre en doute la véracité des propos d'Eden. Il dit la vérité. L'une des caractéristiques de mon frère est qu'il n'a jamais été un bon menteur. Alors lorsqu'il m'affirme que ma relation avec Jake était basée sur le mensonge... Comment ai-je pu passer à côté d'une si grosse partie de la vie de l'homme qui a occupé une place tellement importante dans mon cœur ? Presque sept ans à nous côtoyer tous les jours, à tout partager. Sept ans sans jamais envisager que notre amour puisse être une mascarade. Songer que Jake puisse avoir su dès le début que j'étais différente, et qu'il ait pensé à m'utiliser à mon insu en usant des sentiments pour m'amadouer est à peine concevable. Si Eden est un piètre menteur, alors il n'en est rien de Jake.

Tandis que cette première révélation d'Eden est effroyablement dure à encaisser, le deuxième cataclysme n'en est finalement pas un. Étrangement, aussi facilement que j'ai accepté l'idée de quitter définitivement ma vie alors que je n'étais qu'une enfant, j'ai peu de difficulté à renoncer de nouveau à ce que je croyais être encore hier.

J'ai toujours senti que mon lien avec les Vampires était particulier. Comme si cette espèce aux antipodes de la nôtre faisait partie de moi. Je ne pensais pas si bien dire... Pas humaine. Un salut. Une menace. Un ennemi. Voilà tout ce que je sais actuellement. Seulement pour le moment, j'ai trop peu de renseignements pour pouvoir spéculer.

M'abandonner n'a jamais été une épreuve. J'ai dû tellement de fois renoncer à mes croyances que je suis aujourd'hui capable de tirer un trait sur toute une vie pour en écrire une nouvelle du jour au lendemain. Je n'ai pas peur de devoir me réinventer, et c'est pour cela que c'est la curiosité, et non pas le déni, qui m'anime.

Bien que je sois encore trop faible pour bouger, je n'ai qu'une idée en tête. Chercher des informations. Clarifier les dires d'Eden. Poser des mots sur ce que je suis. Ma seule hâte est de pouvoir quitter l'infirmerie et me mettre en quête de renseignements.

Finalement, l'une des choses qui me tracassent le plus est d'avoir revu mon frère, parce que mes sentiments pour lui ont refait surface. J'essaye de me répéter en boucle les paroles d'Aaron à propos d'Eden, mais loin de lui, ma détermination faiblit. Je peine à l'admettre, mais oui, il me manque, et c'est exactement ce qu'il cherchait. Il était à la fois affreusement humain et pourtant indiscutablement monstrueux, ce qui le rend encore plus dangereux.

Seulement, deux mots prononcés par Eden ce soir-là se frayent un chemin dans mon esprit au fil des jours, et finissent finalement par faire sens : la récupérer. D'après mon frère, Jake voulait m'utiliser pour récupérer Annika, sa mère transformée en Vampire. Ajoutées au miracle que représente la résurrection d'Aaron, son passage d'immortel à mortel, ces deux nouvelles ne laissent que peu de place au doute. La vérité hurle.

Il semblerait que j'ai le pouvoir de faire redevenir humain les Vampires.

Et si c'est le cas, cela change tout. Si c'est réellement le cas, il existe une solution pour Eden.