Chapitre 4, Partie 2

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Mon amie se lève et quitte le salon. Le son de ses pas dans l'escalier résonne dans la maison silencieuse.

Je retourne m'asseoir sur le canapé, avec Tyler. J'allume la télévision, passe les chaînes au hasard jusqu'à tomber sur un téléfilm. Tyler me tire lentement contre lui et je me laisse aller, fixant sans le voir l'écran du téléviseur, essayant de me calmer. La lumière orangée de la lampe à pied dans le coin de la pièce donne des tons plus doux au salon. Je frissonne, et étends sur nous deux le plaid en laine ; la poitrine de mon ami se soulève dans mon dos et je tente de caler ma respiration sur la sienne.

Le calme après la tempête. Une belle imposture.

Que décideront les directeurs du Centre, une fois qu'ils apprendront qu'Eden est vivant ? Le traqueront-ils, ou bien leur intention sera-t-elle seulement de nous cacher de lui ? Veut-il vraiment me tuer ? Peut-être que non, peut-être cherche-t-il uniquement à me revoir. De quel côté serai-je, s'il advient un jour que je doive l'abattre ? Du côté du Centre, où du côté de mon frère ? Arriverai-je une deuxième fois à lui planter un poignard dans le cœur ? Le ferai-je par vengeance, ou par devoir ?

Une heure plus tard, Aly redescend, son portable à la main. Elle vient s'asseoir face à nous, et nous résume la conversation téléphonique.

La directrice était stupéfaite, et c'était déjà un évènement majeur, car jamais elle n'était jamais déstabilisée. Alyssa lui avait lu la lettre, et lui en avait envoyé une copie. Elle lui avait brièvement raconté le cours de nos vies ces trois dernières années, en précisant qu'aucun incident en rapport de près ou de loin avec les Vampires n'était venu le perturber. Le message de mon frère arrivait inopinément, et rien, avait répondu Kristina, n'avait remis en doute la mort d'Eden. Ils n'avaient eu aucune information, aucun signe de lui. La façon dont Eden avait pu survivre était un mystère, aux yeux de la directrice.

Puis, cette dernière avait fait comprendre à Alyssa que nous ne pouvions rester sans protection, que nous devions, pour reprendre des mots que j'avais déjà entendus, pour notre bien, quitter Miami pour l'État de New York. Revenir au Centre. Elle avait dit que nous nous occuperions de la menace plus tard, et qu'il nous fallait nous mettre à l'abri, mais que dans la mesure où nous réintégrions au Centre, nous redeviendrions des Chasseurs. Alyssa avait répondu que nous en avions parlé, et que nous étions arrivés à la même conclusion. Kristina avait bravé sa froideur naturelle pour exprimer sa joie d'avoir de nos nouvelles, même, malheureusement, dans de pareilles circonstances. Elle nous avait signifié que le Centre serait toujours là pour nous accueillir, et que nous y serions toujours chez nous.

Elle avait finalement décidé que nous prendrions un avion le jour suivant, pour rejoindre New York, et qu'elle s'occupait de préparer notre retour. Elle avait fait savoir qu'elle mesurait la difficulté que représentait le fait de reprendre notre activité, notre ancienne vie. Et je comprends facilement que le message s'adressait encore une fois plus spécifiquement à moi.

Une fois qu'Alyssa a fini de parler, elle propose d'aller cuisiner, mais le choc nous a coupé l'appétit. Je me sens si égoïste de ne songer qu'à mes malheurs, alors que mes deux amis ont une nouvelle fois décidé de quitter la totalité de leur existence, pour moi. Par ma faute. À cause de mon satané Vampire de frère. On ne peut connaître plus grande preuve d'attachement et de solidarité pour quelqu'un.

Nous restons peut-être une heure, campés dans nos sièges, parlant peu, mais réfléchissant, beaucoup. Mes pensées sont toujours les mêmes, et celles de Tyler et Alyssa doivent faire écho aux miennes. Je n'ose pas prendre la parole, me rendant compte que j'accable une fois de plus les personnes que j'aime le plus au monde d'un destin qu'ils n'ont pas choisi, et qu'eux n'ont pensé qu'à moi. Je suis une bien piètre amie. Aussi je me tais, j'adresse mes doutes et mon désespoir à mon esprit embrumé.

Puis, nous montons à l'étage, emballer nos affaires, bien que nous n'ayons rien à emporter. Je descends chercher un immense sac poubelle dans lequel nous jetons nos cadres photos, souvenirs, babioles, cadeaux, cours, et tout ce qui composait il y a encore quelques heures notre quotidien. Tyler lance à regret dans le sac son ballon de basket et son maillot de capitaine de l'équipe ; nous nous affairons ainsi sur le tapis de ma chambre jusque tard dans la nuit. Le travail se fait dans le silence.

Au matin, je me réveille dans mon lit. La dernière nuit de ma vie dans cette maison m'a paru douce et paisible, étonnamment. Je traverse sur la pointe des pieds l'appartement, aux étagères vidées, plongé dans une quiétude incroyablement confortable. Il semble neuf, mais aussi sans âme, maintenant que toute trace de nos vies d'étudiants a disparu.

Je prépare du café pour tout le monde. Songeuse, je tente de déterminer quelle est l'émotion qui prédomine en moi. Je suis paisible, j'ai la tête froide, l'esprit clair. Résignée. Exactement comme j'ai besoin d'être pour ne pas revivre l'horreur de la veille. La nuit m'a vraisemblablement porté conseil.

Je regrette de ne pouvoir ouvrir les volets pour sentir la chaleur du soleil sur ma peau. Il vaut mieux ne pas risquer une attaque-surprise d'Eden. Nous sommes le premier août, je devrais être en train de profiter de l'été, de préparer mes affaires pour aller courir à Miami Beach. Je ne devrais pas avoir un frère encore en vie, je ne devrais pas prendre l'avion aujourd'hui, et devoir abandonner ma ville que je chéris tant.

Dans la matinée, mes amis se lèvent, nous continuons de débarrasser l'appartement. L'ambiance terrible d'hier a disparu, mais nous sommes tous un peu tendus. Le moral de Tyler est largement remonté, il est déterminé, et secrètement, je sais qu'il est ravi de retourner au Centre. Quant à Aly, elle est visiblement stressée, mais cache son agitation sous un visage calme et concentré.

Nous passons la matinée à gérer avec la section administrative du Centre les papiers de l'appartement, de l'université, et nos billets d'avion. Vers midi, nous partons pour l'aéroport. Je vois ma maison, ma rue, s'éloigner, au fur et à mesure que la voiture de Tyler accélère dans l'avenue. Je serre les lèvres, réprime un sanglot, et inspire. Tyler, pour détendre l'atmosphère, allume la radio et la musique nous entraîne. Nous roulons vite, trop, sûrement, mais c'est habituel. Les rayons du soleil chauffent l'habitacle qui a bientôt l'air d'une fournaise. Nous discutons un peu de nos anciens amis sur la route, jusqu'à l'aéroport. Là-bas, un homme rattaché au Centre vient récupérer la voiture de Tyler.

Nous quittons pour toujours notre vie et Miami au cours d'une magnifique journée d'été.

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant