Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit

Chapitre 21, Partie 3

— Alors tu n'as aucune idée de comment tu es redevenu humain ? Quel est ton dernier souvenir ?

— Tu es sûre de vraiment vouloir le savoir ?

Je redoute ce qu'il s'apprête à me révéler. Mais la curiosité est trop forte. J'opine.

— Je me rappelle avoir traqué une femme, un soir, à New York. J'étais assoiffé et elle sentait terriblement bon. Elle était seule, et semblait inoffensive, rien ne laissait présager ce qu'elle allait faire. Je l'ai suivie tandis qu'elle se dirigeait vers une station de métro déserte. Pourtant, au moment où je me jetais sur elle, elle se retourna et me poignarda en plein cœur.

Je frissonne à nouveau d'effroi.

— Ce soir-là je suis certain d'être mort, continue-t-il. J'aurais dû être mort. Sauf que j'ai fini par me réveiller, humain.

Il me faut un moment pour encaisser ses dires, et pour envisager les milliers d'hypothèses permettant d'expliquer l'histoire d'Aaron. Mais aucune d'elle ne semble faire sens.

— Pourquoi ne pas tout raconter à Kristina ? Elle en sait peut-être plus que toi sur ce qui t'est arrivé.

— Impossible.

Son visage se crispe.

— Personne ne doit l'apprendre. Tu ne dois en parler à personne. Les Vampires qui ont déserté Philadelphie pour se rapprocher de New York me recherchent. Ils ne comprennent pas pourquoi je les ai quittés.

— Et ils savent où tu te trouves.

— Voilà pourquoi je ne veux pas aller en mission. C'est trop dangereux pour moi. Le Centre était à la fois le meilleur et le pire endroit où se cacher. C'est une forteresse, j'y suis à l'abri... jusqu'au moment où l'on me demande de partir à la traque aux immortels.

Nous sommes presque arrivés. La voiture roule à grande vitesse à travers la forêt qui entoure la ville de New York. Parfois, une ouverture entre deux sapins dévoile un fin croissant de lune. La nuit est très sombre, les étoiles recouvertes d'un voile de nuages. Je ne peux m'empêcher de penser à la tournure qu'a prise ce rendez-vous. J'attendais de telles révélations à propos d'Aaron depuis la première fois où mon regard avait croisé le sien. Il m'a toujours paru différent et dangereux, sans jamais savoir réellement pourquoi. Il n'est ni humain ni Vampire. Il existe un entre-deux, un seuil où lui seul s'est arrêté. Cela remet en cause tant de mes croyances.

La voiture s'engage sur la prairie recouvrant le Centre à l'instant où je reprends la parole. Ce trajet fut définitivement trop court.

— J'ai une autre question.

— Oui ?

— Pourquoi ne pas m'avoir révélé tout cela plus tôt ?

En attendant que la porte du garage s'ouvre complètement, Aaron se tourne vers moi et me contemple franchement pour la première fois depuis notre baiser. Il est incroyablement beau. Ses yeux ont une nouvelle lueur, désormais. Son regard est tellement plus doux.

— Parce qu'il m'arrive encore de douter.

— De moi ?

— Non, de moi.

— Oh.

Je comprends qu'il est trop tôt pour creuser cette part de lui.

— Et pourquoi avoir changé d'avis ?

— Il m'est apparu que tu le savais déjà, tout au fond de toi. Et très égoïstement, bien que ces derniers jours aient été plus calmes, le fait que tu aies toujours des soupçons sur moi m'était devenu inconcevable. J'ai cru pendant un moment que tu te contenterais de ce que j'avais bien voulu te dire, mais notre conversation de ce soir au restaurant m'a bien prouvé que ça ne pourrait être le cas. Je n'aurais pas pu supporter une fois de plus que tu poses le regard que tu as posé sur moi tout à l'heure, alors que j'étais désespérément amoureux de toi.

Mes joues s'enflamment, et j'ai une irrépressible envie de l'embrasser. Pourtant, à la place, je me concentre sur mes mains. Aaron arrive jusqu'à son emplacement. Il quitte son siège sans un mot, et je crois alors l'avoir vexé par mon silence, qu'il va me planter là et rentrer. Mais non, il contourne la voiture, et vient m'ouvrir la portière en me tendant la main. Je sors et me tourne face à lui, dans ce parking faiblement éclairé.

— Me permettrais-tu de t'embrasser ?

Je hausse les sourcils tant il me pose sa question avec une presque timidité. Ses longs cils noirs encadrent ses yeux tandis qu'il me fixe intensément, et je ne peux résister. Je me penche vers lui, me hisse sur la pointe des pieds et joins mes lèvres aux siennes. C'est si étrange d'embrasser Aaron Moore. Avec tendresse, il attrape ma main et la place sur son torse, avant de la recouvrir par la sienne. Je peux sentir son cœur battre à travers ses vêtements. Son odeur est envoûtante.

— Merci, murmure-t-il une fois de plus.

— Je te promets de ne jamais révéler ce dont tu m'as parlé.

Il rit doucement en répondant :

— Je te fais confiance.

Aaron me raccompagne jusqu'à mon studio. Nous ne nous touchons pas plus, pas même lorsqu'il me souhaite une bonne nuit. Je le remercie à mon tour pour cette soirée et il m'annonce avec un rire perceptible dans la voix avoir passé le meilleur rendez-vous de sa vie.

— À demain, Amber.

Je souris, puis ferme doucement la porte.

Plus tard, dans mon lit, je peine à m'endormir. Les dernières heures m'ont paru irréelles et je me démène à essayer de décider ce qui m'a le plus chamboulée. Lui, sa déclaration, son histoire, ou Kelly ?

Il a été un Vampire. Il fut un temps où il avait les prunelles rouges, des canines aiguisées, et où il tuait. Comment est-ce possible ? répète mon esprit. Par quel miracle a-t-il bénéficié de cette seconde chance ? Pourtant, malgré ces révélations sur son passé, je n'ai pas peur de lui. Je lui fais confiance, et je sais maintenant qu'il ne me fera jamais de mal physiquement. Il m'aime. Je suis le centre de son univers, et il m'a embrassé à deux reprises ce soir.

Il a été fiancé à une Chasseuse. Est-ce qu'il l'aimait ? Évidemment, cela crève les yeux. Est-elle toujours vivante ? Lui manque-t-elle ? Face à ces questions, je suis envahie de doutes. Je me repasse encore et encore le fil de notre conversation et tente de donner un sens à ce que je sais désormais.

Pourtant, en m'endormant ce soir-là, je me rappelle l'intonation de sa voix et sa sincérité, lorsqu'il m'a dit Je t'aime. Et mes doutes s'effacent tandis que je sombre dans le sommeil.