Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit

Epilogue

Assise à la table du petit café dans lequel je me suis arrêtée après mon périple, mes doigts pianotent sur les touches du téléphone volé au vieil homme du bunker. Quelques instants plus tard, une serveuse m'apporte ma boisson, et je sursaute à son approche, toujours sur le qui-vive, malgré le millier de kilomètres qui me sépare désormais d'Eden.

— Désolée mademoiselle, je ne voulais pas vous faire peur.

Je marmonne une réponse, et la serveuse repart. D'un coup d'œil, je vérifie la présence de ma voiture sur le parking. Toujours là. Je me repasse une fois de plus mon évasion de la veille, le taxi, la location de ma petite Audi en quelques minutes auprès d'une agence peu regardante sur les documents d'identité, puis le trajet quasi ininterrompu entre Atlanta et Oklahoma City. Atlanta. Voilà où mon frère me retenait prisonnière depuis presque un mois.

Les yeux fatigués, je suis distraitement les informations diffusées à la télévision du café. Rien de bien nouveau. Au moins, je n'ai pas raté grand-chose. Sur mon téléphone, le message attend patiemment d'être envoyé.

Salut, Tyler, c'est Am.

Cela faisait des années que je n'avais pas passé une seule journée sans Aly et toi, et je ne m'étais jamais rendu compte à quel point tout était si simple et rassurant tant que vous étiez là. Aly avait sûrement raison. On se complait dans la facilité et on oublie parfois combien l'inconnu est effrayant lorsqu'on n'a personne pour se dresser entre nous et l'obscurité.

Lors de l'attaque du Centre, j'ai été forcée de partir, sans vous dire au revoir. J'imagine le sang d'encre que vous avez dû vous faire pendant toutes ces semaines, et je m'en excuse. Je finirai par tout vous expliquer. Tout ce que je peux te dire pour le moment est que je suis quelque part aux États-Unis, et que je vais bien. Je ne peux pas t'en dire plus.

Tu te souviens de notre discussion, quelques heures avant l'attaque, de mon projet ? Eh bien je bosse là-dessus, en quelques sortes.

Je ne suis pas avec Aaron, et j'ignore où il se trouve, ni même s'il est encore en vie. À vrai dire, je n'en sais pas plus pour Aly et toi. Tout ce que j'espère, c'est que tu auras ce message.

J'aimerais tant avoir de vos nouvelles, et pouvoir enfin, en quelques lignes faire taire mes craintes et stopper mes cauchemars. Seulement je vais devoir abandonner ce téléphone, alors je n'aurais jamais ta réponse. J'ose croire que vous allez tous et toutes bien. Si par chance Aaron et Alyssa sont avec toi, ne leur parle pas de ce message, et supprime-le. Ils auraient vite fait de mettre en place une mission pour me retrouver. J'aurais mille choses à leur dire, mais je préfère qu'ils ne sachent pas. Vous êtes plus en sécurité comme ça.

Je te souhaite un très joyeux anniversaire. J'aurais tant aimé être avec toi en ce jour.

Nous nous reverrons, bientôt, je l'espère, et alors, peut-être que tout sera plus simple. C'est la raison pour laquelle je fais tout cela. D'ici là, prends soin de toi, et de tous ceux que j'aime.

Am.

Je clique finalement sur la touche d'envoi. Je n'en ai pas trop dit. Bien sûr, j'imagine sans peine combien c'est peu, et combien cela ne suffira pas à lui expliquer la situation, mais je ne peux guère faire plus. Mon regard rivé sur l'écran, comme dans l'attente d'une réponse, je termine mon café. Lorsqu'enfin ma tasse est vide, je fais quelques manipulations apprises au Centre, et supprime définitivement toute trace du message. Je laisse un billet sur la table, puis sors et rejoins ma voiture. Il me reste quelques étapes avant ma disparition complète.

Je passe dans une petite supérette, achète une teinture pour cheveux bas de gamme, une carte des États-Unis, un couvre-chef, et quelques vivres. En traversant une rivière, aux alentours d'Oklahoma, je m'arrête. Après avoir disloqué et détruit les composantes du téléphone, je le jette dans l'eau, puis repars. Direction le Colorado, et la maison des Davis. Mes questions ont besoin de réponses précises. J'inspire un grand coup, et adresse une prière silencieuse à qui veut bien m'entendre. Il va me falloir du courage pour affronter ce qui m'attend. J'ai rendez-vous avec mes fantômes.