Chapitre 7, Partie 2

754 94 4
                                    

Je passe mon après-midi seule, ne sachant comment me comporter vis-à-vis de tous ces étrangers. Alors que Tyler et Alyssa, accompagnés de quelques agents, sortent du parking après avoir découvert leurs nouveaux bolides, j'y entre à mon tour. Je parcours silencieusement les allées bordées de véhicules noirs aux formes effilées. Je profite de l'odeur caractéristique des lieux souterrains, de la gomme de pneu chauffée et d'essence, qui exhale de l'endroit ; l'effluve m'entête, et un frisson me traverse tandis que je m'aventure vers le fond du parking.

Je découvre enfin ma voiture. Un superbe modèle racé, noir brillant. Je ne m'attarde pas sur son aspect extérieur, préférant m'engouffrer sur le siège conducteur. Les mains sur le volant, je savoure l'instant, lorgnant du regard le reflet de mes yeux azur dans le rétroviseur. Je suis sur le point de démarrer le moteur, quand un léger bruit de briquet m'interrompt. Je stoppe mon geste, puis sors de la voiture. Je laisse la portière ouverte et me dirige vers la source du bruissement. À quelques mètres, je découvre Aaron, l'homme qui m'a accueillie froidement à l'aéroport. Adossé au mur, il fume une cigarette. J'avance d'un pas que je veux assuré vers lui, et le temps d'un instant, son visage disparaît dans un nuage de fumée.

— Qu'est-ce que tu fais là ? je demande d'une voix claire, m'arrêtant à quelques mètres de lui.

— Je fume.

— Tu es sûr d'avoir l'autorisation de Kristina ?

Aaron me contemple fixement. Je peux même discerner ses longs cils courbés encadrant son regard sombre.

— J'en suis certain, répond-il avant de tirer sur sa cigarette.

Idiote. Je dois vraiment réfléchir avant parler. Il est le vice-directeur du Centre. Évidemment, il n'a pas besoin d'autorisation. Je me trouve déstabilisée, ne sachant que dire devant cet homme qui semble si froid et si menaçant par son aplomb. Je m'apprête à faire demi-tour, quand je l'entends me demander :

— Ça a été dur ?

Intriguée, je me retourne lentement.

— Quoi donc ?

— De tuer ton frère.

Il a prononcé ces mots d'une voix distante, inaccessible. Sans émotion.

— Je suis une chasseuse de Vampire, je réplique, empêchant la mienne de vaciller.

— Si c'est ce que tu veux qu'on croie, me répond-il avec un haussement d'épaules.

Alors Aaron Moore laisse tomber son mégot et l'écrase du talon, avant de regagner l'entrée du Centre, les mains dans les poches.

Je passe le reste de l'après-midi à la salle d'entraînement. Entêtée, j'ai décidé que retrouver au plus vite mon endurance physique sera bénéfique à mon projet d'acquérir rapidement le respect de mes collègues.

Mes poings cognent contre l'épaisse mousse du sac de boxe. Mes jointures ont viré au rouge voilà une demi-heure, et je ressens des picotements sur toute la surface de ma main. Le sac oscille sous mes coups, même si ceux-ci sont loin d'être menaçants. Je me rends bien vite à l'évidence : ma puissance, ma rapidité, mon endurance et ma précision d'autrefois ont disparu durant ces deux années à Miami. Bien sûr, je suis restée plus douée en sport que mes camarades de classe, mais devant n'importe quel agent du Centre des Chasseurs, je ne fais plus le poids. Et cela me frustre au plus haut point.

Une main m'enserre le coude.

— Hey... Am, ça va ?

Je me retourne pour faire face aux yeux soucieux d'Aly. Je respire très fort et réponds positivement, d'un ton résolu. Elle m'examine quelques secondes, puis me prend dans ses bras, sans un mot. Elle enfouit son nez dans mes cheveux et je ferme mes paupières, intimement soulagée par son geste. Alyssa me caresse doucement le dos, avant de me relâcher.

— Ne t'en fais pas, on finira tous par s'habituer.

— C'est vraiment difficile pour moi. Jake... J'ai constamment la sensation qu'il est ici avec nous.

— Tu dois faire en sorte de passer à autre chose, Am. Arrête de te détruire comme ça. Jake est le passé, que tu le veuilles ou non. Et même si c'est dur à réaliser, tu dois accepter l'idée qu'il ne reviendra plus. Je sais que tu es forte, et que tu y arriveras, car tu détestes plus que tout au monde montrer tes faiblesses. Jake est ta faiblesse. Fais en sorte qu'il devienne ta force.

Ébranlée par ses paroles, je baisse les yeux. Elle a raison, je ne peux que l'admettre. Mais je hais la possibilité d'oublier celui qui a donné un sens à mon existence. Ce serait une trahison, envers Jake comme envers moi.

— Ça va. Je vais y arriver. Merci, Aly, dis-je avant de l'embrasser sur la joue et de quitter la salle d'entraînement, avec l'impression que mon amie me scrute anxieusement du regard.

Pour conclure cette première journée au Centre, je m'attarde jusqu'à l'heure du dîner dans ma chambre ; la solitude est décidément la seule chose dont j'ai besoin en ce moment. Allongée sur mon lit, changeant constamment de position, j'écoute de la musique tout en feuilletant au hasard quelques pages de romans dénichés dans l'une des salles communes du Centre. J'ai été incapable de choisir, alors je les ai tous emportés avec moi. Plongée dans mes lectures, je ne m'aperçois qu'il est l'heure de manger que lorsqu'Alyssa toque à ma porte. Je lui crie d'entrer, me redressant sur le matelas. Alyssa s'arrête sur le pas de la porte et observe avec attention la pièce, curieuse de voir comment ont évolué l'agencement et la décoration.

— Je changerais ces murs bleus si j'étais toi, lance-t-elle tout en avançant jusqu'à mon lit.

Je lui réponds tandis qu'elle s'y assied.

— J'y compte bien.

— Nous allons manger, tu viens ? fait-elle avant de continuer plus sérieusement. Tu sais, personne ici n'est mauvais ou désagréable, encore moins avec nous.

— Je veux juste regagner leur respect...

— Tu l'as déjà ! Nous l'avons tous les trois. Tout le monde nous connaît et est au courant de ce par quoi nous avons dû passer, ils comprennent ce qui t'a fait en arriver là. Accorde-leur ta confiance. Ce sont nos collègues, nous leur devrons sûrement la vie plus d'une fois. Fais-toi à cette idée et cesse d'être sur la défensive.

Je soupire et approuve sans grande conviction. Alyssa a le visage doux et indulgent qu'elle emploie quand elle tente de me raisonner, ses yeux cherchant à déchiffrer le fond de mes pensées. Mais le ton de sa voix est sans appel.

— Tu es têtue comme une mule ! Rien de ce que dira Tyler ou moi ne te fera changer d'avis, n'est-ce pas ?

— Peut-être bien que je meplanterai une fois de plus, je lâche en me levant du lit. Mais pour le moment,je m'attribue encore toute la responsabilité de mes actes. Allons dîner. 

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant