Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : Nuit

Chapitre 15, Partie 3

À notre arrivée au Centre, Maya prend congé après nous avoir remerciés pour la soirée. Tyler et Isabel s'écartent de quelques pas vers le hall du bâtiment. J'en profite pour prendre le bras d'Aly et pour l'entraîner à l'extérieur.

— Où allez-vous ?

— Faire un tour, je lance sans me retourner. On se voit tout à l'heure !

Sans attendre la réponse de mon ami, nous passons la porte du Centre et nous éloignons dans l'obscurité. Un léger vent froid souffle dehors, et il ne fait pas très chaud. Arrivées sur la plaine qui borde l'entrée invisible du Centre, je pivote vers Alyssa.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Aly ?

— Quoi ? fait mine de ne pas comprendre l'intéressée.

— Tu as des sentiments pour Tyler ?

Le regard fuyant, elle reste quelques instants silencieuse avant de me tourner le dos. Je la rejoins en quelques enjambées.

— Eh...

Je la prends par les épaules et la force à me faire face. Son visage est froid et dur, dans l'obscurité de la nuit.

— Qui l'eût cru, n'est-ce pas ?

— Mais... depuis quand ?

— Depuis notre baiser.

— Quoi ?

Abasourdie, je reste sans voix, incapable de prononcer un mot de plus. Mon amie se met à murmurer :

— J'aurais dû t'en parler tout de suite...

— Tyler et toi vous êtes embrassés ?

— Le soir de ton anniversaire, lorsque nous avons décidé de notre départ de Miami, nous avons fait des cartons jusque tard dans la nuit, tu te souviens ?

— Oui, évidemment.

— Tu as terminé avant nous et tu es allée te coucher. Tyler et moi avons continué de ranger pendant encore une bonne heure. Quand nous avons eu fini, aucun de nous deux n'avait sommeil, alors nous nous sommes installés sur le balcon et nous avons bu du vin.

J'ouvre la bouche pour parler, mais elle me coupe.

— Je te donne tous les détails Am, j'ai besoin d'être honnête avec toi. C'est ce que nous aurions dû faire dès le début, Tyler et moi. Mais ensuite nous sommes revenus au Centre, et tout s'est enchaîné très vite.

— Aly, je ne t'en veux pas. Vraiment. Continue.

— Nous étions tous les deux dans un état étrange, avec tous ces évènements. Le vin n'a pas arrangé les choses. Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés là, mais à un moment donné, nous nous sommes embrassés.

— Et vous... ?

— Nous n'avons fait que nous embrasser, enchaîne-t-elle. Le lendemain, nous étions à nouveau sobres tous les deux, et bien trop occupés pour y réfléchir. Sur le moment, j'ai pensé que ce n'était qu'un stupide baiser entre deux amis saouls et nostalgiques. J'imagine que c'est ce qu'il s'est dit de son côté.

Nous frissonnons toutes les deux lorsque le vent se lève soudainement et qu'une bourrasque vient nous hérisser les poils. Aly frotte ses bras nus pour tenter de se réchauffer.

— Mais du tien ?

— De mon côté, ce baiser m'est resté dans la tête. Impossible de me défaire du souvenir de cette soirée. Puis, je me suis surprise à penser à lui, plusieurs fois, plus souvent que d'habitude. Lorsque je le regardais, je ne voyais pas Tyler, notre Tyler. J'avais envie d'être avec lui, rien qu'avec lui. Et puis, quand il nous a présenté Isabel, j'ai eu la certitude de ce que je ressentais.

Je réfléchis à ses paroles, tentant de mettre de l'ordre dans mes idées. Mon amie est plus apaisée que tout à l'heure, mais son visage trahit encore trop bien sa peine et son malaise.

— Tu ne lui en as pas parlé ?

Elle secoue la tête.

— Comment faire ? Je n'ai pas envie de le rendre malheureux, en gâchant son histoire avec Isabel. Il a tellement souffert en amour.

— Mais là, c'est toi qui souffres.

Alyssa soupire.

— Je sais bien...

— Mais comment être sûre qu'il ne ressent rien pour toi, dans ce cas ?

Elle éclate d'un rire ironique, blessée.

— Tu plaisantes ? Tu n'y crois pas toi-même. Tyler est amoureux, ça crève les yeux.

Nous entendons soudain les portes du parking du Centre s'ouvrir. En voyant qui en sort, je retiens mon souffle.

— Aaron ? murmure Aly. Mais qu'est-ce qu'il fait là ?

— Rentrons, je marmonne, mal à l'aise et baissant les yeux.

J'entraîne une fois de plus mon amie, cette fois-ci vers l'entrée, où se trouve Aaron. Passant devant lui, je me fais toute petite et prie pour qu'il me laisse tranquille.

— Salut.

Raté. Et merde.

— Salut, je réponds à la volée, déjà à l'intérieur.

— Hum, Amber ?

Il attrape ma main libre et m'attire brusquement à lui, me coupant dans mon élan. Stupéfaite, je lâche Aly, qui reste en retrait, tout aussi interdite. Elle nous dévisage Aaron et moi ; l'un face à l'autre, séparés par quelques centimètres, et lui me tenant par les épaules.

Extrêmement mal à l'aise, mon cerveau carbure à toute vitesse. Qu'est-il en train de faire ? Je suis tant troublée que je fixe mes pieds sans dire un mot.

— Écoute, je...

Je lève enfin les yeux vers lui, et prends quelques secondes pour l'observer. Je contemple son visage faiblement éclairé et tombe sur ses lèvres. Lui aussi s'est tu en plongeant ses prunelles dans les miennes. Avec assurance, il accroche une fois de plus nos regards et je ne peux m'en défaire.

— Je voulais te dire... Je te présente mes excuses, pour tout. J'aimerais repartir à zéro avec toi, nous donner une nouvelle chance de nous entendre.

Sans attendre ma réponse, il dégage une mèche de mes cheveux et chuchote à mon oreille :

— D'autant plus que je ne peux pas me sortir de la tête la scène d'hier. Pas toi ?

Je reste plantée là, immobile, le souffle coupé. Il me caresse la joue du bout des doigts, avant de nous souhaiter bonne nuit et de s'éloigner dans la plaine.

Abasourdie, je pénètre à l'intérieur du parking, Aly sur mes talons, elle aussi sidérée. J'avance droit devant moi en gardant les yeux fixes, comme si cela pouvait l'empêcher de me dévisager.

— Oh mon Dieu. C'était quoi ça, Am ?

— Moi non plus je ne vous ai pas tout dit.

— Quoi ? Tu plaisantes. Qu'est-ce qu'il se passe entre Aaron et toi ? Depuis quand êtes-vous aussi proches ?

Je soupire.

— J'attendais ce soir pour vous en parler. Aaron est plus étrange que tu ne le penses, Aly. Je vais tout vous raconter. Allons retrouver Ty.