Chapitre 32, Partie 2

489 64 0
                                    

Les jours qui suivent se ressemblent et se confondent. Coincée dans le bunker, comme je l'appelle, j'ai du mal à ne pas perdre la raison. Rien à voir avec les souterrains du Centre. Ici, je n'ai rien à faire, mon quotidien est vide et monotone, et la présence de mon frère n'arrange pas mon instabilité mentale.

Je vis finalement ce dont j'ai secrètement rêvé depuis des années : retrouver Eden, presque comme avant. Le plus troublant est qu'il n'est pas si désagréable de côtoyer mon Vampire de frère. Nous évitons les contacts physiques, comme si nos peaux étaient mortelles l'une pour l'autre, mais le reste n'est pas très différent de ce que j'ai connu petite. Nous passons quelques heures par jour ensemble, à jouer aux échecs ou à discuter de tout et de rien. Je ne parviens pas à distinguer s'il agit par pur intérêt, ou si sa sollicitude est sincère, mais Eden semble tenir à rattraper le temps perdu. Il me pose des questions sur mon quotidien à Miami, mais, étrangement, jamais sur mes années au Centre. Je fais de mon mieux pour répondre à toutes ses interrogations, en me demandant intimement en quoi toutes ces futilités humaines le touchent vraiment. Les questions sont toujours à sens unique, et jamais je n'obtiens la moindre information sur son existence actuelle.

Pourtant, la plupart du temps, Eden et moi avons des rythmes de vie complètement décalés. Je finis d'ailleurs par ne plus savoir faire la différence entre le jour et la nuit. Mes seuls repères sont ses heures de sortie et de retour, qui m'indiquent qu'une nuit de plus est passée. Une de plus à me battre contre des cauchemars plus horribles que jamais. Mon sommeil est peuplé de représentations torturées de ceux que j'ai laissés. Alyssa, Tyler, et bien sûr Aaron. Les siennes sont les plus douloureuses. Je les entends m'appeler, leurs mains me toucher presque, avant qu'ils ne soient dévorés par des Vampires ou engloutis par les ténèbres. Le matin venu, mes cernes sont encore plus gros et mon moral est descendu d'un cran.

Eden tente de pallier à ma mélancolie en me rapportant tous les soirs de nouveaux cadeaux, des produits frais d'un petit maraîcher, en passant par des vêtements, des accessoires de beauté, ou des jeux de société. Ces trouvailles parviennent à m'occuper quelques heures de la journée. Mais très vite, je tourne à nouveau comme un lion en cage.

Alors, je me raccroche à ce que je peux, et actuellement, l'unique chose qui m'empêche de sombrer est Eden. Ironiquement. Le bunker n'est certes pas luxueux, et je m'y ennuie à mourir, mais la présence inespérée de mon frère m'amènerait presque à utiliser l'expression prison dorée. Dans ces quelques mètres carrés, tout n'est qu'antithèse. Je dépéris, mais je suis heureuse, je suis seule, mais accompagnée de celui dont je rêvais, je suis loin du Centre, mais près de ma famille, je suis séquestrée, mais j'ai droit à des cadeaux, Eden est à la fois mon bourreau et ma bouée de sauvetage.

À force de le côtoyer, je finis par remarquer que son humeur devient plus morose ou plus agressive en fin de journée, lorsque la soif se fait ressentir. Alors il me prévient, m'enferme dans le bunker, sort, et réapparaît au petit matin, plus calme et détendu. Tout cela m'amène à penser qu'alors que je suis censée trouver un moyen de le faire redevenir humain, pour l'instant, il ne masque rien de ses habitudes vampiriques. Il ne fait aucun effort pour paraître plus normal, pour dissimuler le but de ses escapades nocturnes, et n'hésite pas à plaisanter sur nos différences. Cependant, pas une fois il ne me traite mal, ne me menace ou ne me blesse. Il n'est ni spécialement méchant, ni particulièrement gentil. Il se contente de me garder ici, dans l'attente de je ne sais quoi.

— J'ai besoin de manger, je lui dis un matin, avisant le réfrigérateur complètement vide.

Il grogne et se tape le front.

— Évidemment. Ça m'était sorti de la tête.

— Tu pourrais aller me chercher quelque chose en ville ?

— Impossible. Il y a un grand soleil dehors.

Je soupire.

— Je pourrais y aller, je propose sans trop y croire, ce qui le fait ricaner.

— Bien tenté, mais il n'en est pas question. Désolée, mais tu vas devoir attendre que la nuit tombe.

— Mais il n'est que neuf heures, je feins de geindre pour essayer de l'attendrir. Je ne pourrai pas patienter jusqu'à ce soir.

— Je m'excuse de ne pas y avoir pensé, mais c'est non, tranche-t-il d'un ton catégorique.

Devant mon air boudeur, il propose :

— Si tu as si faim que ça, tu peux toujours boire un peu de mon sang.

C'est à mon tour de rire, face à une offre si absurde. Pourtant, il garde son sérieux.

— Ce n'était pas une blague.

Interdite, je finis par mesurer l'illogisme de notre conversation. Moi, boire du sang de Vampire ?

— Je ne crois pas que ça puisse vraiment me rassasier, je réponds, gênée.

Il plisse les yeux, semble réfléchir à sa propre proposition.

— Ce serait une expérience intéressante, juge-t-il, son petit sourire mystérieux au coin des lèvres, avant de se lever. Si tu veux bien m'excuser, je vais lire un peu. Mais si jamais tu changes d'avis, je suis prêt à tenter l'expérience, conclut-il en remontant la manche de son tee-shirt, dévoilant son bras nu.

Il se passe une dizaine de jours après mon réveil dans le bunker, avant que je sois prête à tout et n'importe quoi pour sortir d'ici ou au moins pouvoir contacter l'extérieur. L'incertitude de la santé de mes amis et d'Aaron me ronge. Évidemment, Eden a proscrit toute forme de liaison avec tout ce qui se trouve en dehors de cette pièce. Je ne sais pas où je suis, quelle heure il est, si mes proches sont en vie, ou même si une Troisième Guerre mondiale a éclaté. Un soir, je demande à Eden ce qu'il en est du Centre, s'il a été détruit ; je n'obtiens aucune réponse.

Pourtant, il doit bien voir que je ne suis plus la même personne, et que cette prison devient trop petite pour moi. Je commence à échafauder des plans d'évasion, et me mets à rêver qu'Aaron vient à mon secours, m'ouvrant enfin les portes de la liberté.

Les longues escapades de mon frère seraient une aubaine, s'il existait un moyen de sortir d'ici. Bien entendu, pendant un temps, je passe mes heures de solitude à chercher une faille dans le bunker, examinant les murs, la porte, ou réfléchissant à mes quelques bases sur la façon de faire sauter un four à micro-ondes. Mais rien. Eden n'a rien laissé au hasard. Après quelques tentatives, je dois bien me rendre à l'évidence : je n'ai aucun moyen de sortir d'ici sans aide.

Le second problème qui se présente très rapidement est l'épaisseur des cloisons, et l'absence de bruit autour et au-dessus de moi. J'en viens à me demander si Eden ne m'a pas menti. Je tends l'oreille, avec l'espoir d'entendre un voisin, le son d'une sirène, mais rien. Je pourrais tout aussi bien me trouver dans un véritable bunker.

Hors de question d'imaginer agresser Eden et de le forcer à m'ouvrir, ou lui dérober ses clés. Il est beaucoup trop fort, et trop rapide. 

Les Chasseurs de l'Ombre - Tome 1 : NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant