Chapitre 14 √

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J'erre dans les couloirs, sans but précis. Je suis restée une heure environ dans la bibliothèque et j'ai trouvé quelques pépites que je tiens à bout de mains. Les livres pèsent lourd dans mes bras et je me dois de faire attention à là où je mets les pieds. Pendant une quinzaine de minutes, j'ai relu À cœur perdu, où Daëlla m'a parue encore plus idiote que dans le passé. Ses pensées et tourments m'ont donné la migraine alors j'ai préféré reposer le livre.

Me voilà maintenant, voguant dans le palais, un peu perdue. Plus j'avance, et plus des bruits me paraissent forts. J'entends une sorte de musique entraînante, et des éclats de rire provenant d'un petit salon au bout du couloir. Les portes sont ouvertes, si bien que j'avance. Je suis aussitôt stoppée dans ma lancée par une armoire à glace qui me lance un regard aussi noir que le charbon.

-Wilson, mon bon et vieil ami, vous tombez à point nommé !

Je lui fourre ma pile de livres dans les bras et il semble ahuri pendant quelques secondes. Il se ressaisit vite et m'assassine de ses yeux noisette. Couleur cacao.

— Mademoiselle, vous n'êtes pas censée être ici ! La réception s'est terminée depuis un bon bout de temps déjà. Et qu'est-ce que...

Il lâche les livres par terre et ceux-ci s'écrasent au sol dans un bruit assourdissant. Une torture pour mes pauvres yeux de voir ces chef-d'œuvres ratatinés.

— Je me suis baladée un peu dans la bibliothèque, répliqué-je. Vous permettez ? Vous me gâchez la vue.

Je le contourne pour me diriger vers le petit salon mais je ne finis pas le trajet.

— Pas un geste ! beugle-t-il.

Un bruit de lame me coupe dans mon élan. Je fais volte-face et hausse les sourcils devant l'épée qu'il lève sur moi. Pour qui se prend-il ?

Pour le garde du corps du prince, peut-être ?

— On est dans les trois mousquetaires ou bien... ?

— Vous êtes insupportable ! s'énerve-t-il. Vous n'écoutez jamais ce qu'on vous dit et n'en faites qu'à votre tête. Vous n'aurez aucune chance avec le prince avec cette attitude-là.

Je lève les mains en l'air pour me rendre et marmonne :

— Et vous, vous êtes pathétique. Vous vous croyez tout permis juste parce que vous êtes le soi-disant protecteur de Son Altesse Royale. Permettez-moi de vous dire qu'il est deux fois plus musclé que vous ! Et beaucoup plus charmant et aimable ! Je mettrais ma main à couper qu'il vous ratatinerait la tronche au combat d'épée !

— Assez !

Je me fige dans l'espace-temps. Sa voix puissante et grave, digne d'un vrai héritier au trône résonne dans le couloir. Le prince apparaît et me dépasse puis s'interpose entre nous.

— Wilson, c'est suffisant. Sarah s'est juste montrée curieuse. Inutile de la menacer de la sorte.

— Elle s'est juste montrée curieuse ? Elle désobéit sans arrêt ! Peu importe ce qu'on lui dit, elle n'écoute pas. Prenez l'exemple de Sa Majesté lui ordonnant de porter des robes. Est-elle devenue présentable et jolie à admirer depuis ce jour ? Loin de là ! Elle ressemble toujours autant à une roturière de basse-ville.

Son ton haineux me donne la nausée. Je suis blessée et j'essaie de ne pas le montrer mais c'est peine perdue. Quand ma fierté en prend un coup, c'est mon silence qui le montre. Et je n'ai plus aucune réponse préparée à lui répliquer. Sans faire attention, je me surprends à dévisager ma tenue. Je porte une robe noire digne d'un enterrement. Mes cheveux sont toujours aussi ébouriffés et je dois sans doute avoir une tête affreuse.

Wilson a raison. Je ne suis pas présentable. Je suis horrible à voir.

— Wilson, siffle le prince.

Il fait un signe de la main pour lui demander de partir et moi, je reste plantée là comme une idiote. J'ose jeter un coup d'œil derrière moi et mon cœur se serre lorsque je vois une vieille femme danser au rythme de la musique. Derrière elle, une femme d'une trentaine d'années l'observe, un immense sourire aux lèvres. L'ambiance qui se dégage de la pièce est chaleureuse et animée. Un feu crépite au bout de la pièce et la dame s'agite en riant.

Lassée, je me détourne.

— Sarah, attends.

Je sais qu'il m'ordonne de rester mais je ne l'écoute pas. J'ai l'impression d'être tombée de dix étages avec les déclarations de Wilson. Alors je me retourne pour affronter ses deux billes bleues :

— Je suis si horrible que ça à voir ?

Je ne suis pas normale. Je devrais m'en ficher et continuer ma vie et pourtant... pourtant je suis là, à questionner un prince qui émettra sûrement un jugement sur moi. Je suis là à attendre qu'on parle de moi, qu'on me rassure, qu'on ose me dire que je suis convenable, un mensonge de plus tissé à cette broderie de brillance. Je suis là à exister pour ces critiques, à tenter de devenir quelqu'un, quelque chose.

— Non, Sarah. Tu es magnifique à ta manière et c'est ce qui te rend unique.

Il fait un pas vers moi mais je recule. Ce compliment me regonfle à bloc. Je ramasse mes livres tombés au sol que je recueille dans mes bras avec douceur.

— N'écoute pas Wilson. Il est seulement sur les nerfs en ce moment et j'ignore pourquoi.

— Non, j'ai bien compris qu'il ne m'aimait pas et ça me va parfaitement !

Le prince pousse un petit soupir, se passe la main sur le front comme s'il était épuisé. D'un signe de tête, je lui désigne le petit salon.

— Qui sont-ils ?

— Ma famille. La sœur de ma mère et ma grand-mère. Cette réception nous a profondément lassé alors nous nous sommes éclipsés.

— C'était si horrible que ça ? questionné-je.

Il hoche la tête vivement puis fourre ses mains dans les poches. Il balaie du regard le couloir comme s'il cherchait ses mots.

— Cela fait à peine une semaine qu'elles sont là et j'ai l'impression de perdre la tête. Elles me parlent mariage et enfant quand mon seul désir est de mener ma vie comme je l'entends.

Un point commun, dit donc.

Je l'écoute, sans trop réfléchir, et me mets à compter les grains de beauté sur son visage. Cinq, neuf ? Onze ?

— Enfin, peu importe. Je ne devrais pas te confier tout cela.

— C'est vrai. Je suis juste une sélectionnée parmi tant d'autres, après tout.

Je fais un pas pour m'en aller après lui avoir adressé une piteuse révérence et lorsque je passe le bout du couloir, je jurerais l'entendre murmurer :

— J'en doute fort, Sarah...

𝐏𝐫𝐢𝐧𝐜𝐞𝐬𝐬𝐞 𝐒𝐚𝐫𝐚𝐡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant