34. Gotcha!

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« Le nuit ne fait que commencer, ma jolie! » déclare la dame en vérifiant dans l'entrebâillement que la voie se libère. Si ce sont là les seules paroles encourageantes qu'elle puisse obtenir, Abelone fait avec.

En appui sur le mur, se lever lui donne toutes les peines du monde. L'adrénaline a reflué, ne lui laissant que des lambeaux de force sur un amas de douleurs. Elle se sent comme ce musée: vestige d'un temps révolu, éreinté, qui ne tend qu'à sombrer sous le poids de la pollution et des lichens.

La femme l'aide d'un dernière poussée. « Il va falloir que tu marches seule, avertit-elle. Avec mes talons aiguilles, on risque juste d'attirer l'attention si on reste bras-dessus bras-dessous

— Je vais y arriver, assure Aby. »

Elle opine et retourne à la porte pour un dernier coup d'œil. « Tu as bien compris le chemin au cas où on est séparées?

— Je garde le Grand Bazar dans mon dos à gauche, répète-t-elle les instructions. La verrière du premier étage de l'aile. Il me retrouve là. »

"Il". Philotas. Elle frémit aussi puissamment que lorsque la voix grave à vibrer au creux de son oreille. Elle n'y croit toujours pas... Pas vraiment. Elle a peur d'y croire.

« C'est un vrai dépotoir, personne n'ira fouiller. Mais le rez sera bien gardé... » Elle semble espérer qu'il le soit. Abelone n'a pas le temps de s'en inquiéter que la dame enchaîne urgemment en lui tendant la main: « Allons-y maintenant! ».

Aby jette un ultime regard au visage flasque à l'œil éclaté, crâne répandu sur le sol, et suit la femme qui écarte le battant.

Les lieux se sont drastiquement vidés tout en restant aussi bruyants. Des miliciens persuadent les poivrots de reprendre leurs esprits en lorgnant les formes dénudées qui passent à portée. Les filles continuent le service, inébranlables. Elles ont des factures à payer!

Les deux comparses filent en pas de côté derrière un garde et se faufilent par une porte dérobée capitonnée. L'ambiance est aussitôt plus feutrée. « Ne regarde pas les escortes dans les yeux, recommande tout bas sa guide sans cesser d'avancer dans le couloir étroit bordé de parois qui ne devaient pas exister à l'origine. Elles en deviennent des chiennes! » Abelone dissimule ses menottes comme elle peut dans les replis de sa veste et pique du nez dans son sillage de crainte du moindre imper.

Elles croisent plusieurs séries de claquements de talons hauts qui embaument de parfums floraux. Aby sursaute aux cris bestiaux qui s'échappent d'une porte et une fille s'en moque en la dépassant: « La p'tite chérie! Toujours à te coltiner les pires, Cheyenne!

— Au moins, elles ne me demandent pas de leur mettre un doigt dans le cul! »

La garce entre dans une chambre en ricanant d'un air entendu, et la dame bifurque sur un chemin de traverse. « Ça fait longtemps que tu supportes ce cinglé?

— Oui, ment Aby. Et toi?

— Quelques mois. Mais j'ai l'impression que ça fait des années. » Elle voit très bien ce qu'elle veut dire! « C'est un sacré fils de salaud, mais il paye bien. »

La jeune femme n'ajoute rien. S'il est bien un enseignement qu'elle devrait tirer de sa sortie du jour, c'est de ne faire confiance à personne, pas même un allié, qui ne soit prêt à prendre une balle pour elle. Cette pensée contracte sa peau d'un frisson horrifié et elle ne peut s'empêcher de se renseigner sur ce qu'il reste de son entrevue avec son frère. « Deux hommes morts, répond la belle en lui jetant un œil intéressé. Tu les connaissais?

— Simple curiosité. »

Elle voudrait ponctuer son désintérêt d'un haussement d'épaules, mais se contente d'une grimace douloureuse. Sa jambe la tue plus encore. Et même si les nausées ont diminué une fois son estomac vidé, chaque mouvement brusque lui donne le tournis. « C'est encore loin?

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant