23. Dites-moi que c'est du plâtre!

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Il n'y a pas de fenêtre. Aucune lumière naturelle. Des spots encastrés. Blancs. Des dalles de pierre au sol. Noires. De grands carrelage au mur. Blancs. Une large frise de faïence à motifs. Noirs. Des céramiques. Blanches. Les cloisons de la douche italienne. Profondément noires.

Au matin, la salle de bain était raffinée – Le noir, faut oser! Cet après-m', c'est... clinique. Une pièce qu'on voit en photos dans un magazine vendant l'élégance du contraste, mais qu'on n'est pas destiné à fouler. On n'imagine pas une famille l'utiliser pour de vrai. Les parents se brosser les dents au-dessus de la vasque exempte de toute trace d'eau, ou les gosses se relever la nuit pour salir la cuvette immaculée des chiottes. Parce que c'est ce qu'elles sont: aussi étincelantes soient-elles, ce ne sont que des putains de chiottes qui ont l'air d'avoir été mises sous cadre, bordel!

Et la douche! Parlons de la douche. Une pièce à elle seule! Elle pourrait accueillir un club échangiste et permettre à ses membres de s'enfiler debout sans quitter la caresse des jets. La tête principale encastrée au plafond arrose toute la largeur de la douche et la colonne aux multiples boutons de réglage offre encore deux pommeaux plus classiques. Un an de son salaire entre trois murs et demi.

La plupart des zonards (ces habitants des zones qui ne méritent pas un Z majuscule), considèrent les Zones 10 et au-delà comme la représentation de la richesse immodérée plus grotesque que chic. Abelone n'a jamais envisagé que l'entre-deux devait exister entre le 6 et le 10. Elle regarde la réalité droit dans le mitigeur.

C'est incroyable comme un état d'esprit peut fluctuer en quelques heures. Avant le lever du jour, elle a urgemment fait sa toilette de chat à cette vasque là-bas, précipitée par les menaces de Meyer. Le jour hivernal décline, et elle est à présent inerte, plongée en d'étranges découvertes existentielles en échappatoire de la menace d'être rattrapée par la réalité de sa journée.

Sa réalité. Elle a séché et tiraille la peau de son visage. Des choses dont elle ignore la teneur ont coulé dans son cou.

Ses yeux dévient lentement vers le côté. Vers le long miroir qui tranche la blancheur du mur. Elle cligne. Non! Elle n'est pas parvenue à éviter son reflet pour flancher maintenant.

Elle avance entre les parois qui occultent aussitôt son champ. Les aspérités en étoile du carrelage antidérapant massent ses plantes de pieds. Elle avise la colonne dans l'espoir qu'elle lui révèle ses secrets. Le clopeur lui fera payer si elle met le bordel dans ses réglages!

Un bouton pour chaque sortie d'eau, suppose-t-elle. Et un pour la température. Le cadran offre le choix de vingt à soixante degrés. Soixante! C'est la température d'un cycle de lavage de draps de bain, pas d'un être humain!

Il est au minimum. Un adepte des douches froides. Ça ne l'étonne pas. Elle ajoute allègrement vingt degrés, et soulève le mitigeur en s'écartant d'ignorer à quoi s'attendre. Après un bref crachin, le débit enfle dans le pommeau commun. "Commun" comme peut l'être un pommeau aussi grand qu'une taque d'égout!

Une brume rassurante s'élève rapidement. Après vérification de la chaleur, la jeune femme se glisse sous les jets. Oh Déesse! Quel délice!

Elle profite un long moment du martèlement sur sa peau. Lorsqu'il pénètre ses muscles, elle se résout à ne pas vider le château d'eau. Elle rabat en arrière les cheveux qui lui reviennent sur le visage... et se pétrifie à mi-mouvement. Des morceaux de plâtre, veut-elle se persuader. Les bouts durs qu'elle sent sous ses doigts ne sont que des morceaux de bois et de plâtre arrachés aux murs du commissariat. Elle n'a qu'à les ôter.

Elle palpe un bout de... plâtre!... emmêlé à ses cheveux. Il rebondit dans un cliquetis sur le carrelage, et elle passe au... débris suivant. Sauf que, celui-là est moins solide. L'aspect n'est pas minéral. C'est... mou.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant