35. Nourris-moi

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Dans le halo projeté d'entre ses dents, la courbe extérieure de la cuisse se détache crûment. Nettoyée du sang séché. La peau uniformément pâle. Sans artifice. Sans poudre aux yeux. Magnifique. Livrée à lui.

Ses doigts traînent le long de la fine taillade, remontent jusqu'à la blessure sanguinolente plus profonde de la hanche. Déchirée. Elle en gardera une cicatrice moins nette que l'entaille qui lui cède. Ça n'entachera en rien sa perfection. Elle en soulignera le galbe. La beauté féminine. Et la puissance qu'elle dissimule.

D'une pieu perçant sa chair, Aby en a fait une arme. Phil aurait haussé un sourcil étonné si cela était venu d'un soldat. Pas venant d'elle. Cette plaie raconte ce qu'il sait déjà. Ce que ce corps et cet esprit lui ont déjà livré: elle ne le décevra pas.

Il veut se battre contre cette force. Et gagner. La gagner.

Cette jambe, cette blessure, l'histoire qu'elle raconte, nourrissent ses désirs. Putain! Il ne sait plus qui succombe aux blandices de l'autre!

Il lève les yeux sur le visage blême. Abandonné. L'expression sereine. Ça le ferait triper si elle était consciente de ce qui se déroule. Mais elle n'est pas en état. L'Intention n'y est pas. Et ça le fout en rage contre cet abruti qu'elle a protégé au commissariat. Il aurait dû le crever. Ses projets de chasse à l'homme ne l'amusent plus. S'il a survécu à Aby, Phil en sera d'autant plus impitoyable lorsqu'il aura mis la main dessus.

Comme toutes les trois minutes, un « R.A.S. » murmure à son oreillette. Klint a repris la patrouille du périmètre après l'avoir aidé à draper Aby de la couverture de survie et lui laisser la trousse médicale du paquetage. Ils ne sont pas à l'abri d'une fouille dans les règles après la découverte d'un cadavre étripé abandonné dans leur sillage. Mais Phil doit correctement panser la lésion, et la jeune femme a besoin de repos. Pendant ce temps, Tyb veillera. Avec plaisir! tant que le sang de ses victimes séchera et tiraillera sa peau. Aussi difficile à gérer mais facile à contenter qu'une femme vénale!

Les soins l'accaparent quelques instants de plus. Il range le matériel et règle le minuteur de son bracelet à quinze minutes. C'est le temps qu'il lui donne avant de l'éveiller. Il active le laryngophone: « On remballe dans 15.

— Reçu. »

La jeune femme remue et gémit dans son inconscience. Phil la maintient et se rend compte que sa température reste basse. Ses fringues trempées empêchent la couverture doublée d'aluminium de faire office.

« Raccourcis ton temps de circuit, ordonne-t-il à Tyb. Je serai moins en alerte.

— Wilco. »

Il ne porte pas de gilet pare-balle: ça aurait fait tache parmi les miliciens aux équipements dépareillés. Il peut sans s'encombrer, ôter la veste tactique et tirer le bas du sous-pull hors de sa ceinture. Five-seveN dans une main, l'autre agrippe l'arrière du col roulé pour le passer par-dessus sa tête. Le froid contracte la peau de son torse nu. Il noue l'habit sur son dos pour que le tissu thermique conserve sa chaleur, retire précautionneusement les bras de la jeune femme hors des manches de la veste mouillée et ouvre le gilet pour ne pas qu'il fasse rempart.

Il se glisse entre les pans de la couverture de survie et blottit le corps froid au plus près sous son aura chaleureuse. Seuls le satiné d'un habit de corps brodé et un fin soutien-gorge blancs les séparent. Semi-automatique prêt à tirer et mitrailleuse à portée, il frotte le dos en barrière des habits gorgés.

C'est ainsi qu'Abelone revient à elle dans la tiédeur à l'odeur cuirée. Malgré la senteur nouvelle de la peau, elle a une meilleure conscience des bras qui l'entourent que du lieu où ils se trouvent. « Tu ne sens pas la cigarette. » Sa voix cassée résonne contre la gorge sous sa joue. « Pas en mission, expédie-t-il sans cesser les mouvements réconfortants le long de sa colonne.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant