46. Plus c'est fallacieux, plus c'est ingénieux

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Le trajet n'est pas trop long jusqu'à l'orée de la Zone 8. Il se passe en silence hormis les chuchotements du tissu de la robe d'Aby. La jeune femme ne cesse de la tirer sur ses cuisses pour ensuite remonter le décolleté inévitable découvert en représailles.

Si elle ne reproche rien à Meyer, c'est qu'elle est à court d'idées. Elle a tenté toutes les insultes. Depuis l'accusation d'avoir emprunté l'habit à une de ses nombreuses maîtresses prostituées, jusqu'à incriminer l'éducation de sa dépravée de mère. Il a tout toléré avec effronterie ou amusement, lui refusant l'honneur de s'offusquer pour la laisser tel quel: frustrée dans son indignation. Mais muettement!

La zone résidentielle qu'ils traversent n'a rien à envier à celle où il habite. Les trottoirs sont plus propres et en meilleurs état; les façades plus en accord avec la richesse des habitants; les avant-cours et jardins parfaitement entretenus par la collectivité. Une banlieue huppée protégée par un contrôle d'identité supplémentaire, comme si elle avait servi de galop d'essai aux gated community des Zones les plus privilégiées défendues par la base militaire.

Le capitaine-commandant en civil se gare bientôt dans l'allée d'un pavillon, sort en refermant machinalement le bouton central de son coûteux costume sur mesure, et fait le tour de la voiture pour ouvrir à la jeune femme. Il lui présente sa main et elle le récompense d'un sourire, reconnaissante de l'aide pour s'extirper de l'habitacle sans montrer sa culotte aux voisins.

Abelone contemple les volets de bois à l'ancienne et la devanture au crépi blanc immaculé derrière laquelle doivent se cacher d'innombrable pièces pareillement à toutes ces villas, héritages du rêve américain. Et connaissant le gus qu'elle accompagne, le nid douillet pourrait tout aussi bien abriter une gentille petite famille de sitcom qu'un dealer marchand d'armes. « Où sommes-nous? » questionne-t-elle en lui laissant distraitement ses doigts auxquels il entrecroise les siens. Il se contente de l'entraîner vers le perron sans répondre. Pour changer!

Pour parfaire l'illusion de soap, un propret paillasson annonce la bienvenue à quiconque s'aventure au-dessus des marches, et le heurtoir à tête de lion brille de mille feux sous les premières lueurs des lampadaires aux dernières de celles de l'astre du jour.

Phil frappe trois coups sur le battant. Quelques secondes s'écoulent, rompues par des éclats de voix étouffées par l'épaisseur des murs, et l'huis s'ouvre sur un sas aux boiseries lustrées. Un homme brun d'une tête de moins que le sociopathe s'y dresse très droit. Tellement strictement qu'Aby sait à quel genre d'énergumène elle a affaire avant que son cavalier ne le salue: « Général.

— Commandant, répond l'autre aussi froidement. »

Les deux se toisent sans moufter, plein de défi. L'inconfort prend lentement de l'ampleur et la jeune femme s'agrippe à la main de son clopeur pour s'empêcher de se trémousser.

Les lèvres de l'habitant tressaillent. Il fronce les sourcils et finit par soupirer de défaitisme: « Je n'gagne jamais! ». Mais il rit sourdement en les rejoignant sous la marquise. Le visage intransigeant s'est mû en ouverture amicale tandis qu'il serre la main de son vis-à-vis en lui étreignant familièrement l'épaule. « On n'était pas sûr que tu pourrais venir. Et qui nous amènes-tu? enchaîne-t-il.

— Émilie, mon général. »

Le gradé baisse les yeux sur leur main liées et relève un sourire enchanté. Aby se retrouve sous la coupe du regard d'un bleu atypique. Lavandé. Oh merde! « Jonas. Enchanté, jeune fille. » déclare-t-il, l'air sincère. Puis à l'adresse de Phil: « Ta mère va être ravie! Mais entrez donc, mes enfants! invite-t-il avec empressement. Le repas est bientôt prêt. Les autres sont déjà là. »

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant