Black Bag [Terminé]

4. Pas récréative pour tout le monde

Depuis les ombres de sa place de chauffeur, Phil assiste, impassible, à la suite des échanges fadasses de sourires et paroles oiseuses des deux groupes auxquels se joint Biture en descendant de voiture.

Il s'allume une énième cigarette en observant les alentours, se souvenant de l'époque où le quartier était le plus animé de la ville. Tout illuminé de jour comme de nuit et jamais désempli du brouhaha des âmes, il l'avait arpenté des soirs au long, jusqu'à le connaître par cœur. Jusqu'à s'y sentir chez lui.

Il n'éprouve cependant aucune mélancolie à la vue des rues muettes chichement éclairées dépouillées de vie. Il apprécie tout autant s'y trouver. Plus même, du calme olympien qui l'entoure. La nuit porte une saveur ajoutée depuis que les humains en sont exclus.

« Vous me parliez d'un garage, Monsieur. » apostrophe tout à coup Tyb depuis la vitre de Stim'. Il lui en coûte de négliger le grade de son supérieur pour ne pas mettre la puce à l'oreille des filles.

Phil se tourne lentement vers lui à la portière. Durant une seconde, son adjoint et l'adjudant disparaissent dans un âcre voile de fumée. « Juste au coin. » désigne-t-il vaguement le garage évoqué abandonné, que le Ministre de la Répression des Culs compte bientôt investir. Il fallait à ce dernier un lieu pour garer ses véhicules d'apparats et son jet privé. Pour ce faire, rien de mieux qu'un quartier en ruine qu'il souhaite reprendre par la force militarisée! La logique du ministre le laisse complètement dans le jus!

« Si on allait montrer ça aux filles, Monsieur? » Ses hommes le dévisagent, en attente d'une réponse à la requête sous-entendue. Phil ne se questionne pas de savoir si leurs intentions sont bonnes ou mauvaises. Bien sûr qu'elles sont "mauvaises"! Et bien sûr que c'est mal! On lui a appris ça. Il le sait. Personne ne le remet en doute. Mais est-ce qu'il en a quelque chose à foutre?! Non. Son pragmatisme s'arrête à: "Avec peu de désagréments à la clé, mon équipe sera vraiment détendue à la prochaine mission de terrain".

Néanmoins, il a retenu la leçon de leur dernière virée récréative. Il préfère qu'ils ne foutent pas le feu au futur parc du ministre, aussi con trouve-t-il son emplacement. Il va devoir jouer au garde-chiourme...

Il récupère zippo et boîte à cigarettes sur le tableau de bord, et quitte le confortable habitacle. Stimulus en lâche un « Yeah! » espiègle, enchanté d'être rejoint par son flegmatique supérieur. Il a toujours espéré le voir un jour s'amuser avec eux. Il ne se rend définitivement pas compte que ses amusements sont d'une autre sorte que les leurs.

À la descente du capitaine-commandant, même les filles les moins méfiantes commencent à sentir le piège se refermer sur elles. Il sait se donner l'air inoffensif quand il le faut. Or, il ne le faut pas! Il en dégage une telle aura de gravité qu'il faudrait manquer de la plus petite once d'instinct de survie pour ne pas se sentir en insécurité.

La plus âgée, restée en retrait depuis le début, continue d'essayer d'attirer l'attention de sa collègue pour l'éloigner. Elle lui glisse urgemment qu'elles doivent se barrer. Cette fois, sa copine est tout à fait d'accord!

Mais il est trop tard. Tyb passe le bras autour de cette dernière en lui assurant que la visite vaut le détour; Biture ferme leur retraite de sa montagne de graisse et de muscle; Stim', tout sourire enjôleur, passe les bras sous celui des deux plus hardies pour ouvrir la marche qui les mène à l'abattoir. Au milieu de tout ça, la jeune Alice ne peut que suivre le mouvement, incertaine quant à la façon de s'extraire de cette situation.

Elle regarde anxieusement sa sœur par-dessus son épaule. Le monolithe qu'est Biture les surplombe de deux bonnes têtes. Maintenant qu'elle ne croit plus un traître mot des propos rassurants et expressions séductrices de Tyb et Stim', que peuvent-elles faire face à ces hommes entraînés qui les encadrent, elle et ses amies de fac?