60. Contre-Colman

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Avant l'arrivée opportuniste de Meyer, Abelone ne s'était pas rendue compte que l'appartement était froid et humide. Elle ignorait qu'elle gelait sur place avant de partager un lit avec lui. Elle avait l'habitude.

Depuis, elle a conscience de sa peau transie sous la couette bon marché. Jusqu'à ce que les ressorts du matelas gémissent, ploient à côté d'elle, et que la bienfaitrice chaleur irradie.

Dans le noir, elle écoute le moment où Philotas aura terminé son rituel réglé comme du papier à musique militaire.

Il commence par s'asseoir, le temps de faire jouer quelques muscles tendus. Il soulève bientôt un coin de couverture, se glisse dessous, et y déploie sa taille. S'il méjuge l'espace qui le sépare du pied du lit, il le heurte et c'est tout le cadre qui tangue sous son grognement étouffé mécontent. Il s'appuie ensuite sur un coude pour aligner un oreiller à sa hauteur. Et il se tourne vers elle.

Il se colle à son flanc, le bras en travers de sa poitrine, et cherche le meilleur endroit où poser la main. La caresse est légère et s'immobilise généralement non loin de son pubis, dans l'intérieur de sa cuisse, ou sur sa hanche. Finalement, il se détend dans un soupir d'aise et s'ajuste brièvement si elle-même a adapté sa position à la sienne.

Heureusement, il n'a pas la bougeotte dans le sommeil. Sans quoi, elle serait réduite à se draper de son amertume! Aucune chance qu'elle ne gagne une bataille de récupération de couette contre lui. Et si elle lui en faisait le reproche, il lui répondrait probablement qu'il se charge de la couvrir quand elle veut.

Elle aime presque cette idée: se chamailler pour un pan de couverture. Une futilité cruciale. Une gaminerie, vis-à-vis des autres préoccupations de son existence. Elle n'a plus l'âge. Elle ne l'a jamais eu. Et l'envie lui passe totalement lorsqu'elle est blottie, tout entourée de lui. Elle se contente de garder l'option dans un coin de sa tête. Pour plus tard. Au cas où il lui faudrait une excuse pour lui casser les couilles!

Son buste vibre d'un rire muet et le bras léthargique se resserre autour d'elle. « Hum?

— Rien... Je... Je me demandais juste quand on allait recommencer à se bagarrer. »

La voix qui lui répond est traînante, murmurante, vibrante des profondeurs où elle s'abîme de torpeur contre ses cheveux: « Je te reprocherai de foutre tes pieds glacés sur moi quand tu te seras habitué à me posséder.

— Je te possède?

— Dès l'instant où tu m'as touché, mon trésor. Je te l'avais promis, rappelle-t-il le jour où il lui a imposé la trop belle Phryné. »

Le timbre de plus en plus obscurcit l'invite dans l'intimité. Elle s'y blottit plus étroitement, se gorge de l'odeur cuirée de l'after-shave saupoudrée de tabac consumé. Elle se drape de lui et il éclipse le monde. « Oui. Tu l'as promis... » chuchote-t-elle.

Ses paupières se ferment dans le relâchement de ses muscles. Son esprit s'apaise sous le silence impérieux de la nuit. Une stridulation résonne soudainement comme un hurlement contre les parois de son crâne. Elle alerte toutes ses alarmes internes et le brutal sursaut de son corps fait écho à l'étreinte bourrue de Philotas. Il la serre abruptement et relâche aussi vite la pression dans une volée de jurons. « Tout va bien. » grogne-t-il en s'écartant. Il se rabat sur le dos pour saisir son téléphone sur la table de nuit. « Allo?! »

Abelone entend les inflexions étouffées d'un timbre masculin par-dessus les battements désordonnés de son cœur à ses tympans. Elle va avoir besoin d'un moment pour se calmer. Elle a bien cru qu'on était parvenu à défoncer les nouvelles défenses de l'appartement. Jamais plus elle n'aurait pu se sentir à l'abri dans un espace clos si ça avait été le cas.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant