45. Privilégiée

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Le mort-vivant de première classe Pierre se traîne hors du lit tandis que de l'autre côté de la ville, Phil rentre enfin chez lui.

La porte claque au rez et le livre d'Abelone bondit comme une savonnette entre ses doigts. L'urgence de ses gestes imprécis lui font derechef perdre sa page.

Le palier gémit et ses poumons se figent. Respiration retenue, elle fixe le battant statique du bureau. Quelques secondes plus tard, la douche s'enclenche dans l'autre pièce et elle souffle à fond pour calmer les battements effrénés de son cœur. Elle gagne un délai.

Elle a joué le jeu la veille. Vraiment. Elle y est parvenue. Elle lui a laissé croire qu'elle le voulait physiquement. Mais à la lueur du jour après une nuit de solitude, elle n'est pas certaine d'être capable d'en donner plus.

Certes, ce n'était pas aussi répugnant qu'elle l'avait anticipé. Certains aspects lui ont plu, l'ont rassurée. Et l'ajout de ce qu'il fallait de comédie a visiblement convaincu le militaire. Elle voulait découvrir à quel point elle pouvait le pousser et elle l'a mis dans un état qu'elle aurait jugé impossible. Elle l'a rendu humain. Homme. Qui se laisse mener par ses instincts. Et à sa honte, cela aussi lui a plu.

Elle a joué la séduction, sans prévoir qu'elle puisse être à son tour séduite par la réaction de Phil. Sa façon de la contempler. La façon dont il a perdu toute retenue.

Si elle y repense, elle retrouve la sensation sous les doigts. La fluidité d'une épaisse soie sur une vibrante dureté osseuse. Un diapason protégé du plus souple des cuirs. C'est ce qu'elle retient du contact avec le sexe de son clopeur.

Chaud. Doux. Pulsant.

Puissamment vivant.

Elle se l'avoue: c'était grisant. Ça lui fait peur, aussi.

L'ivresse du Pouvoir.

Jusqu'où sera-t-elle prête à aller pour Le conserver? Pour L'entretenir? Pour garder Meyer sous Ce contrôle bégayant?

Comment lui donner plus sans lui abandonner tout?

Et – Par la Déesse Helja! – comment lui faire face?! Alors que le simple fait de le savoir à côté la fait rougir et trembler à la fois.

La porte s'ouvre inopinément, crispant sa poigne sur les pages. « Tu sors de la douche? » interroge son militaire depuis l'encadrement sans autre forme de courtoisie. Aby lève un œil incertain sur la silhouette torse nu, jusqu'à l'expression neutre de Meyer. Neutre et pourtant... Quelque chose dans les traits est altéré. Pas tant par la fatigue qui creuse les paupières, mais sous la surface. Comme si des émotions troublaient sous la peau, prêtes à craquer le vernis.

Son ventre se décrispe. Ce n'est plus la première fois qu'elle surprend l'apaisement de ses états d'âme à l'apparition de Phil. Un profil qui la rassérène davantage à chaque rencontre.

Elle se penche pour observer le palier derrière lui: « C'est le leprechaun, pointe-t-elle les escaliers d'un coup de menton. Tu ne l'as pas croisé? » Il lève la main, présentant ses doigts pincés: « Il a de longs cheveux châtains, ton lutin?

— Oh non! se redresse-t-elle sur un coude d'indignation. J'ai tout relavé!

— Pas devant l'évier où tu t'es démêlé les cheveux. »

Elle craignait tellement de laisser la moindre trace de son passage, que si, elle a même balayé. « Tu te fous de ma gueule?! râle-t-elle en s'adossant légèrement à l'accoudoir.

— Oui. » Il jette la petite mèche dans la poubelle à l'entrée. « Je les ai trouvé sur la brosse.

— Tu ne peux pas être maniaque à ce point.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant