17. Et le ketchup, bordel?!

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Durant une milliseconde, Abelone prévoit de fureter. C'est probablement son unique chance de trouver des preuves utiles à sa cause. Sa pensée ne va pas au-delà: trop frissonnante, trop crevée... Trop mal! Elle ne bouge pas du canapé.

Elle se redresse tant bien que mal sans trouver la force de s'asseoir, et se sert une tasse fumante de la théière. Elle ignore de quoi est composé le breuvage. Elle ne peut même pas dire s'il s'agit de thé ou de tisane. Mais le goût est fin. C'est réconfortant. À moins qu'on ne songe que ce cinglé ait pu y ajouter du GHB. Tout de suite, c'est moins apaisant!

Ferait-il ça? Probablement pas. Ça n'aurait pas le "panache" de la voir se soumettre et succomber.

La jeune femme observe autour d'elle.

La pièce est grande, très haute (genre trois mètres ou plus! Haute à ce point!), et toute en longueur. Son âme et source de lumière irradie du foyer rugissant. Ses éclats fluctuent et se meuvent autour d'elle. Du côté de ses pieds, les hauts volets fermés retiennent la chaleur et plongent les détails dans la pénombre. Côté tête, de lourdes tentures obstruent tout un pan de mur. Elle n'en sait plus où se trouve la façade.

Deux chesterfields biaisent vers la cheminée, une commode se trouve derrière elle à côté d'une porte, un lustre la surplombe. Et c'est tout. Enfin, c'est tout, si on omet les cannelures, moulures, et autres gravures qui sillonnent les murs et les boiseries, ornements à eux seuls. Tout bibelot en devient superflu.

La rue est muette. Pas un aboiement, pas un vrombissement de moteur. Tout est silencieux hormis le crépitement des bûches et la légère sibilance des respirations d'Abelone. Elle reste longuement léthargique au creux de la couette de plumes. Jusqu'à ce que l'élan des flammes faiblisse contre ses joues. Elle entrouvre un œil hors de l'oreiller. Le feu commence à s'étouffer. Merde!

En soupirant, elle s'extirpe de sa couche avec l'ardeur d'une octogénaire pleine d'arthrite, et se drape tant bien que mal de l'encombrant duvet. Heureusement, Meyer a eu la prévenance de remplir le porte-bûche avant de partir.

Elle se débat un moment entre le tissu qu'elle ne veut pas enflammer, le tisonnier à manipuler, et le poids des bûches à organiser sur les chenets. La température remonte rapidement sous ses paumes qu'elle réchauffe. Tant qu'à être debout...

Abelone traîne les pieds jusqu'aux tentures occultantes. Elle l'écarte et ouvre de grands yeux étonnés. Derrière, pas de fenêtre à proprement parler, mais une grande double porte aux multiples vitres qui remplit une bonne partie de l'arche. Et au-delà, l'enfilade de salle à manger et cuisine, dont la lumière aveuglante émerge d'une véritable verrerie. L'arcade entre les deux pièces pose la limite entre "simple" plafond haut et toit de verre.

La jeune femme se glisse précautionneusement entre les draperies et la porte pour entrer dans cet espace solaire. Plus elle avance vers l'arrière de la maison, plus les chants des oiseaux se font entendre. Le plancher de bois devient mosaïque de pierres et l'air se rafraîchit sensiblement. La façade arrière est en bow-window sur le jardin boisé, et à gauche, un dernier battant sous deux marches huileuses, donne directement sur une véranda fleurie.

Quand vous faites plus d'un mètre quatre-vingt-dix et cent kilos de muscles, votre confort exige forcément que tout soit à vos dimensions. Mais quand même! C'est... inattendu. Aéré, pas du tout oppressant comme elle l'aurait prévu si elle avait imaginé un lieu de vie pour Meyer. Elle l'aurait vu dans un donjon! Des catacombes! Pas dans une serre verdoyante!

Ce qui est sûr, c'est qu'elle ne se trouve pas entre les Zones 4 à 6!

Plus par curiosité que par faim, Abelone ouvre le rutilant frigo dont la porte ne porte pas une trace de doigt. Pas même un aimant ou un post-it. L'intérieur, par contre, c'est la caverne d'Ali Baba. Monsieur ne se refuse pas grand chose en termes de qualité et d'illégalité.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant