65. Madame oui, madame

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« Donc, résume-t-elle en enjambant le bosquet, cette ordure de Stimulus a bouché le système de ventilation de la O.R.D.E., de sorte que le service accolé soit envahi par les odeurs répugnantes de l'Exérèse.

— Pendant longtemps, oui, confirme le caporal. »

Elle ramasse la veste de son militaire en se demandant en quoi l'anecdote est censée l'aider. « Jusqu'à quand? questionne-t-elle, sûre de manquer l'information cruciale.

— Je ne sais pas trop... »

Constatant sa contrariété, les yeux de son interlocuteur se voilent de cette étrange panique qui paraît capable de virer à la folie à tout moment. « Je suis navré, madame, je n'ai pas une très bonne notion du temps. Je vous déçois. Je vais trouver un moye–...

— Non, non! Dis-moi juste tout ce que tu sais.

— Ils... reprend-il en secouant la tête comme pour y remettre de l'ordre. Ils ont tout transformé. Les travaux ont duré plusieurs semaines. Et il a encore fallu désinfecter les bureaux pour que l'aile puisse être réintégrée.

— Tout a été changé? insiste-t-elle.

— Toute la ventilation. Par un système indépendant, à évacuation mécanique. Des bouches d'extractions ont été installées partout. »

Meyer n'espérait quand même qu'elle passe par là pour entrer dans les bureaux? On n'est pas dans un film: ce ne sont que des foutus tuyaux, pas des couloirs où ramper!

« Philo–... Je veux dire, Meyer s'est-il intéressé aux travaux?

— Le Capitaine en a demandé les plans, se souvient-il. Il déteste que des choses lui échappent.

— Ça doit être ça, alors. Il me faut ces plans. »

Il acquiesce, affichant ce sourire vaguant qui lui crispe l'estomac. En diversion, elle enfile le veston d'uniforme et tâte les poches. Deux jeux de clefs et le fameux carnet s'y trouvent. Elle pioche un mince objet métallique. L'étui à cigarette. Durant une seconde, Aby songe qu'il va péter un plomb sans ses clopes. Puis vient la pincette au cœur: ses tiges doivent être le dernier de ses soucis à l'heure qu'il est.

Ce n'est pas le moment! Elle s'ébroue, laisse tomber le flingue confisqué de Meyer dans une poche, et troque l'étui pour le boîtier électronique de la voiture. « Peux-tu me guider sur la base?

— Avec joie, ma dame, agrée-t-il pompeusement en s'emparant de la clef qu'elle lui tend. »

Accompagnés de Simen et Eskil, ils se servent du verrouillage central du véhicule pour le retrouver. Phil et elle en étaient à la fois si proches et si éloignés. Il aurait pu aisément s'échapper s'il était parti lorsqu'elle lui a dit.

Pourquoi diable est-il resté?!

Même en se serinant qu'on les voulait vivants, concevoir qu'un sociopathe puisse attacher plus d'importance à la fidélité qu'à sa propre existence n'a pas de sens. Et pourtant... médite-t-elle. Toute leur relation est basée sur la certitude que Meyer tienne ses promesses. Sans quoi, jamais elle ne lui aurait accordé une once de confiance. Ils en seraient resté à la case départ, ou plus probablement serait-elle morte de ne pas répondre aux règles de ses jeux.

Peut-elle en déduire qu'il soit resté parce qu'elle en a fait autant? Il s'est ainsi assuré qu'elle continue de se battre pour lui, peu importe les cas de figure. Sa sécurité à l'instant t était moins importante que sa vision au long terme. Ça, elle peut y croire! se sourit-elle en grimpant à la place du mort. À jamais un chien manipulateur!

Avant de démarrer, Klint règle le siège à sa taille. La jeune femme le regarde faire, écœurée. C'est déjà étrange de voir quelqu'un d'autre au volant de la voiture qu'elle a le plus emprunté de sa vie, mais elle a également l'impression qu'il viole un peu plus son intimité dans la sécurité de l'habitacle.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant