En colère. Elle est en colère, oui.
Elle n'est pas choquée. Elle n'éprouve aucun dégoût. Après les viols des miliciens, durant les longues années de lutte pour sa vie et sa liberté, elle-même a envisagé d'écarter les cuisses en échange de bons procédés. Elle l'aurait fait pour Meyer si ça avait pu l'aider à s'en débarrasser. Son corps n'est pas un cénotaphe! pensait-elle à l'adolescence et adhère-t-elle toujours. Comme pour son intellect, c'est à elle et elle seule de décider comment en user et l'affûter. On ne lui imposera aucune restriction de chair ou de pensée, s'est-elle promis le jour où les Procréatrices ont statué qu'elle était impropre à la Prêtrise ou la Procréation.
Mais le patriarcat, c'est la matrice des matrixés! Personne ne reproche à l'athlète de s'épuiser à la compétition; personne ne taxe l'homme habile de s'user à l'ébénisterie. Parce qu'on met de la valeur aux performances de leur corps, ils exercent leur métier et provoquent l'admiration. Un état de fait qui ne s'applique pas à cette femme au pseudonyme fantasmé, qui n'utilise rien d'autre qu'un organe donné à sa naissance pour un service auquel les hommes donnent de la valeur.
C'est ce qui met Aby en colère: la valeur qui lui est donnée présentement. Pas d'argent. Pas de subsistance. Pas de secours. Tout cela n'est rien pour Meyer. S'il doit s'offrir les services de cette femme en espèces sonnantes et trébuchantes, ce n'est pas cher payer pour la réduire à outil de manipulation. Elle n'est qu'un objet de discorde à brandir; un produit dont il ne veut même pas.
Ce chien!
Le petit sourire masculin lui assure qu'il a parfaitement décrypté sa colère et qu'il s'en réjouit. Il se branle dessus! avant de déballer la capote. Il va le faire! Ce chien, va le faire! Jusque-là, Aby en a douté. Mais il mène sa verge contre l'orifice qu'il veut conquérir. Et elle doit faire face à l'évidence: il ne s'agit pas qu'une provocation de plus.
Elle s'est fourvoyée.
Sa poitrine lui fait mal à crever. Voir le grand corps se fondre à l'autre est au-dessus de ses forces. Elle s'en dérobe vers la femme. Meyer lui a tourné la tête pour qu'Aby ne puisse rien louper de son expression. Sans équivoque: impatiente. L'invitée aime le sexe, n'en a pas honte, et présage que ce type sera à la hauteur de l'assurance qu'il affiche. La jeune femme est aux premières loges de la transformation des traits lorsque le militaire se met en action. Les jolies lignes du visage s'affaissent, les chaleureux yeux marrons roulent dans leur orbite, les lèvres fardées s'ouvrent à la recherche d'un air incapable de gonfler la poitrine écrasée par la plaisir.
Le tableau à quelque chose de fascinant, pour elle qui découvre l'abandon voluptueux. L'homme fait un mouvement, arrache un premier cri à la gorge serrée de sa partenaire, et un tiraillement traverse le haut des cuisses de l'heljaïste. Merde! Elle se recroqueville, ramène les jambes contre elle sur le cuir du fauteuil, serre les genoux, refuse que le monstre qui sommeille en son ventre s'éveille à l'appel lascif.
Elle s'assure que Meyer n'a rien remarqué, et la colère reprend bienheureusement possession de ses moyens: elle croyait découvrir une expression semblable à celle de la courtisane, mais se heurte au visage d'un même marbre sculptural que son corps. Même planté dans un outil consentant, il n'en a rien à foutre!
Un "oui" de satisfaction rebondit sous le plafond et Aby se détourne résolument vers le mur. Elle en a assez vu. Quelle ordure!
Se soustraire aux bruits est néanmoins moins aisé. Pas sans plaquer les paumes sur les oreilles en chantant "la la la la"! Ça ferait trop plaisir à Meyer! Alors elle chante dans sa tête pour couvrir les claquements de la chair contre la chair et les respirations de plus en plus erratiques de la prostituée. L'homme n'émet pas un son en témoignage d'agrément à l'opposé des ahanements et plaintes qui prennent en ampleur de minute en minute, de seconde en seconde. « Oui! Oui! crie l'escorte en rythme des percussions.
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Black Bag [Terminé]
RomanceIl a suffi d'une fraction de la campagne électorale attisée par la peur. Deux semaines de matraquage médiatique durant les quatre mois de campagne, une énorme opération de médisance, et un seul slogan: "Votez contre Mercier". À l'heure de la victoir...