50. Sans une prière; sans une parole

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En image, un aperçu de l'illustration de ce chapitre. Dispo sur Instagram, ainsi qu'un timelaps de la "naissance" d'Aby  ;)

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Elle est dans les bois quelque part. Immobile. Les loups qui la pourchassent ne font pas partie des créatures qu'elle connaît.

De brefs nuages saccadent devant ses lèvres. Ses jambes sont faibles. Ses muscles brûlent. Elle ne veut rien de plus que mettre fin à cette douleur. Affronter ou périr. Plus fuir. Et tant pis si ses os doivent être exposés; ses viscères extirpées de leur cavité; son crâne brisé évidé de sa matière grise.

Le clair de lune fait luire la sueur de sa peau et projette les ombres mouvantes des feuillus qui la surplombent. Tout est calme avant la tempête. Serein. Mais les rais des torches enflent et se déchirent entre les troncs. Sur ces terres ancestrales inviolées, Dieux et Monstres foulent finalement le même humus.

Un souffle sec lui fouette le visage avant qu'un rugissement pareil au tonnerre ne fasse vrombir le plancher sous elle. L'onde de choc plaque la robe à ses courbes. La barrière qu'elle croyait inviolable n'est plus qu'un pathétique bout de métal bosselé et lacéré au sol. Les lampes instantanément braquées sur elle l'aveuglent. Les abîmes des canons se confondent aux silhouettes qui se précipitent.

Des ordres déjà suivis sont jetés. À genoux, elle l'est. Les mains sur la nuque, elle les a. La meute affamée grogne et hurle, se répond, comme une ésotérique célébration de la proie acculée.

« Êtes-vous Émilie Brown?

— Oui. »

Sa voix n'a pas vacillé. Son corps ne tremble pas. Elle est quelque part dans cette forêt. Sous la clarté lunaire esquissée par les trouées des branches. Il ne s'agit plus d'échapper aux plans mal torchés de son frère. Il n'est plus tant question de vie et de mort que de préserver son esprit. À l'abri sous les ramures.

La barre d'un bâillon force l'accès entre ses mâchoires. L'attache se mêle à ses cheveux et les arrache à son crâne. Ses bras sont tordus et ses poignets enchaînés dans le dos. Pas de dernière vision: elle emporte l'atmosphère nocturne des frondaisons sous le sac noir qui l'aveugle.

Le black bag étrangle et ricoche le bruissement de son propre sang à ses oreilles. Sa carcasse est soulevée. L'un de ses talons se perd. Elle ne touche plus terre. Ces mains abruptes sont provisoirement l'unique contact avec la tangibilité de ses sens oblitérés.

Le grésillement des radios et le martèlement des combat shoes ne sont que de lointains bourdonnements étouffés par la masse océanique où la privation sensorielle la plonge. Si bien qu'elle sursaute lorsque ses cuisses rencontrent le froid pénétrant du métal. La sensation glacée transperce rapidement son sous-vêtement. Ses fesses transies font remonter un interminable frisson le long de sa colonne.

Ses membres sont scellés à des chaînes. Son cou est entravé aux fers qui lui calent la tête, les coudes, les épaules, à la carrosserie nue. Les souffles entre ses dents sifflent autour du bâillon, rebondissent sur la toile. Ils lui reviennent, tonitruants, brûlants et humides. Bataillés. Leur moiteur couvre son visage. Elle perle et gèle à chaque inspiration et sature à nouveau à chaque expiration.

Le sac noir est devenu sac plastique.

Sa poitrine s'affole des grandes goulées d'air désespérément cherchées. L'oxygène y est absent. Ses poumons s'embrasent. Son corps se rebelle inutilement. Il saque les attaches inébranlables. Les liens s'enfoncent dans ses chairs, les ravinent. Les secondes deviennent des heures terrifiantes. Déjà, les profondeurs de son crâne enflent et s'alourdissent.

Black Bag [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant