Black Bag [Terminé]

66. Tout commence et finit

Les trente heures suivantes fourniront du grain à moudre aux complotistes de tout poil pour les décennies à venir.

Lorsque les images de sécurité du palais dictatorial apparaîtront "fortuitement" sur un compte Reddit anonyme, ce qu'elles ne montreront pas sera sujet à cent spéculations. La plupart des personnes présentes – participantes, actives adhérentes – ne sauront jamais, elles non plus. Même après le grand final, une face cachée des transactions le restera.

Pour le grand public non initié aux sphères hardcore d'internet, Abelone ne sera jamais que cette inconnue diffusée par les médias, "cette femme, là, pieds nus, qu'on voit vite fait entrer la première avant de disparaître au milieu des mecs et meufs armés jusqu'aux dents. Ouais, ouais, celle qu'on revoit depuis une autre caméra, flingue à la main, traîner Colman par le col à travers un couloir jusqu'à une pièce d'où il n'est jamais ressorti. C'est fou quand même que les militaires en faction n'aient pas bronché à son passage".

Pour la poignée d'initiés, apprentis détective du net, ils recouperont et compareront des images d'interventions de la Horde pour preuves que la garde rapprochée présidentielle ait été remplacée par les hommes du sinistrement célèbre Meyer. Celui-là même dont la mise à disposition de la Cour Pénale Internationale sera rendue publique moins d'une heure après la chute de Contre-Mercier, laissant présumer que la participation de la section militaire soit en représailles de l'arrestation.

En revanche, les enquêteurs en herbe ne découvriront pas la façon dont ils ont fait disparaître le corps du tyran renversé. Il sera généralement admis que Colman ait été réduit en cendres au crématorium de la O.R.D.E. Ou qu'il se soit volatilisé. Pouf!

Les plus fervents fanatiques du despote gueuleront fort pour compenser leur sous-représentation. Dès la fin de soirée, lorsque l'ancien opposant aura présenté son intérim et promis des élections dans le mois à venir en conférence de presse, les cons la mettront en veilleuse.

Là a commencé le travail de Mercier. Reconstruire une institution toute entière, organiser au plus vite des suffrages sans fraude, réagencer ce qui s'est biaisé, renouer avec les pays libres, rétablir la confiance,... Une charge considérable de travail et de stress pour quelqu'un qui n'a pas le droit à l'erreur. Aby le lui a "gentiment" rappelé avant de se retirer, elle et ses révolutionnaires, du palais présidentiel: « Colman a pu faire régner la terreur parce que tout était en place pour l'y aider et qu'on n'imaginait pas que ce soit possible. Rappelez-vous que c'est une excuse à usage unique, monsieur le Président... Tâchez de ne pas laisser la police redevenir la prochaine Horde. Si vous dérapez, vous aurez des comptes à rendre aux gens qui vous ont mis là. »

La menace n'était même pas voilée et il sait que ses décisions sont toujours épiées deux ans après avoir été élu légitimement.

À mi-mandat, il est néanmoins plus confiant. Il est fier, même! Par la fenêtre de son bureau, il contemple le travail accompli plutôt que la vue. Il se sent plus épanoui que jamais. Utile. Les financements en aide à la reconstruction viennent de partout et les projets qu'il pensait insurmontables se mettent en place peu à peu.

Même si les mentalités doivent être changées et que l'éducation soit une affaire continue, la vie reprend un cours plus juste pour tous les habitants. Sans discrimination.

Il n'y a que ce détail... Cette chose qui se rappelle à lui au moment le plus inopportun et contracte douloureusement son estomac. L'épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Qu'a-t-il vendu pour obtenir ce retour progressif de la paix?

Parfois, la sonnerie du téléphone le fait sursauter, la boule au ventre, hésitant à répondre de crainte que le temps soit venu. Il a passé un Pacte dont le Diable viendra un jour revendiquer le paiement.