A l'ombre de nos cœurs

7. Le mur

Sanji enfila sa chemise impeccable avant de la boutonner rapidement, vérifiant par la même occasion qu'aucun pli ne lui avait échappé. Il ajusta sa ceinture sur son pantalon avant de s'assurer que ses chaussures avaient été parfaitement lustrées. S'examinant précisément dans la glace, il remit ensuite en place sa mèche de cheveux blonds devant son œil droit.

Il s'observa alors longuement à travers la surface réfléchissante. Son apparence était irréprochable, comme toujours, mais il se demandait si ses traits tirés et sa peau encore un peu plus pâle que d'habitude n'étaient pas trop visibles malgré le soin qu'il mettait à se préparer chaque jour. Bien sûr, tout le monde savait qu'il n'avait jamais beaucoup dormi mais ce n'était pas tant ses cernes qui l'inquiétaient. Non, ce qu'il redoutait le plus, c'était son sourire figé et ses gestes trop raides qui avaient déjà attirés l'attention des plus curieux de ses compagnons sur lui.

Le cuisinier n'était pas stupide. Il était conscient que son comportement trahissait son manque de sérénité et s'il avait sincèrement pensé que reprendre ses habitudes sur le Sunny suffirait à l'apaiser, il était forcé de constater que ce n'était pas le cas aujourd'hui.

Le blond fixa à nouveau son image à travers le miroir. En vérité, tout le monde était au courant maintenant. Depuis que Zoro l'avait pris à parti sur le pont quelques jours plus tôt après leur combat contre ces monstres marins, plus personne ne pouvait ignorer que son attitude ne correspondait pas à celle qu'il avait toujours affichée. Et Sanji savait que ce n'était pas tant le fait qu'il ait pris un risque en intervenant pendant le combat de l'escrimeur que l'accumulation de détails déconcertants que ses amis avaient déjà notés. Les quantités de nourriture démentielles qu'il cuisinait. Sa fuite inattendue lors de leur soirée sur la dernière île qu'ils avaient visitée. Son silence et son manque de réaction face au sabreur qui avait dû achever de lui mettre la puce à l'oreille.

Sanji soupira. Il n'y pouvait rien. Son retour sur le Sunny lui laissait encore une drôle d'impression au creux de l'estomac et il faisait de son mieux pour l'ignorer et reprendre sa vie comme si Whole Cake Island n'avait jamais existé. A cet égard, leurs aventures sur Wano avaient été une parenthèse bienvenue bien que particulièrement éprouvante. Maintenant qu'elle était refermée cependant, tout le monde était de retour sur le bateau aux côtés de Luffy qui filait plus que jamais vers son destin de Roi des Pirates.

Ce semblant de normalité aurait dû le tranquilliser mais il le plongeait au contraire dans un abîme de tourments qu'il n'avait pas soupçonné. Comme si l'ordinaire ne se révélait pas suffisant pour l'empêcher de se focaliser sur le vide qu'il ressentait depuis qu'il avait reposé le pied sur ce bateau qu'il avait pourtant tant voulu retrouver. Son besoin de s'occuper était donc inexplicable mais il n'en était pas moins réel et pour le moment, il suffisait à contenir l'agitation que Sanji sentait parfois monter en lui.

Le cuisinier jeta soudain un regard exaspéré à son reflet avant de se détourner pour sortir de la salle de bain. Il s'était déjà donné en spectacle plus que de raison et ses amis avaient fait montre d'une compréhension particulièrement généreuse à son égard, il n'allait donc pas s'apitoyer à nouveau sur son sort.

Sanji ouvrit la porte à la volée et sentit l'air frais du matin s'engouffrer sous sa chemise légère mais il l'ignora. Il se dirigea rapidement vers sa cuisine et s'y enferma une minute plus tard. Dehors, le jour se levait à peine.

***

Nami marqua un temps d'arrêt lorsqu'elle pénétra dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner. La table débordait de plats alléchants et malgré leur apparence particulièrement appétissante, elle ne put s'empêcher de noter leur nombre démesuré. Résolue, elle décida de prendre la parole à ce sujet mais lorsque le propriétaire des lieux se tourna vers elle une seconde plus tard, elle n'eut pas le cœur à effacer son sourire rayonnant. Sanji tentait de leur rendre la vie plus agréable à sa manière et même si elle commençait à soupçonner qu'il ne s'agissait pas seulement de leur faire plaisir, elle n'avait pas envie de lui retirer ce bonheur.