23. Point de rupture

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La tempête au large s'étant dissipée, l'équipage avait décidé de réintégrer le Sunny dans la foulée et depuis la fenêtre de la vigie, Zoro suivait le cuisinier du regard, la mâchoire serrée. En contrebas sur le pont, ce dernier s'éloignait rapidement après avoir distribué ses encas à ses compagnons, les épaules basses.

Alors que le sabreur l'avait toujours vu s'assurer que tout le monde, et même lui, apprécie ses préparations à leur juste valeur, le blond accordait désormais à peine un regard à ses amis et ne restait en leur présence que le temps de leur apporter leurs parts. Concernant le bretteur, il avait carrément arrêté de vouloir le confronter devant son indifférence affichée et il laissait son assiette sur la table de la cuisine. Même les filles avaient tout juste droit à un sourire forcé à son passage et il y avait bien longtemps que Sanji ne tourbillonnait plus auprès d'elles à chaque occasion. L'escrimeur n'aurait jamais pensé qu'un jour, il regretterait de ne plus être le témoin de cette attitude idiote. De la même manière, le voir raser les murs au lieu de rayonner à l'idée de servir un repas était le signe ultime que Sanji avait abandonné toute volonté de sauvegarder encore les apparences.

Cette posture plus que tout le mal-être que ce comportement sous-entendait avait fini par mettre l'épéiste hors de lui et depuis des jours maintenant, sa colère ne retombait pas. Depuis quand Sanji renonçait-il à se battre ? Depuis quand avait-il décidé de se montrer si lâche qu'il ne prenait même plus la peine de préserver sa fierté ? Croyait-il qu'il allait trouver All Blue en cessant de le chercher s'il ne daignait même plus cuisiner ? Y voyait-il encore un quelconque intérêt ? Avait-il décidé que son objectif n'en valait tout simplement pas la peine ? Avait-il abandonné son rêve alors qu'il était la raison même de sa présence parmi l'équipage au chapeau de paille et ce pourquoi Luffy l'avait aussi choisi ? Cet imbécile de cuistot avait-il complètement oublié qui il était ?!

Comme le blond s'enfuyait vers son antre, Zoro se détourna de la fenêtre, les poings tremblants de rage. Il avait compris son manège le jour où il l'avait traîné à l'abri des regards après sa nouvelle crise de panique. A cet instant, il s'était rendu compte que son malaise prenait ses racines bien trop profondément en lui, à un point tel que Sanji distordait la réalité : il était obsédé par sa fonction de cuisinier de telle manière qu'il ne voyait rien d'autre et le bretteur aurait pu s'en réjouir si son compagnon ne se saisissait pas de cet élément comme une nouvelle façon de se faire souffrir.

Au lieu de se servir de sa frustration pour trouver une solution à son problème, pourquoi Sanji s'effondrait-il ? Sa famille l'avait dénigré lui et sa cuisine pendant son enfance, et alors ? Zeff lui avait offert la possibilité de tout recommencer à ses côtés puis Luffy était apparu pour lui permettre de réaliser ce dont il avait toujours rêvé. Pensait-il que trouver un océan légendaire était aussi simple que de prendre la mer ? Qu'il n'y aurait pas d'obstacles à affronter ? A quoi bon s'être découvert une famille sur le Sunny s'il se détournait d'eux lors des coups durs ?!

Zoro en avait plus qu'assez de ce besoin incompréhensible qu'avait le cuisinier de se faire du mal. Comme si tout ce qu'il avait vécu auparavant n'avait servi à rien. Comme si Sanji reproduisait les mêmes erreurs, encore et encore. Comme si le sabreur s'était trompé à son sujet.

L'épéiste se saisit soudain de son haltère et la repoussa à l'autre bout de la vigie, furieux. Chopper avait raison. Il ne pouvait rien faire pour quelqu'un qui choisissait délibérément de reculer devant la difficulté.

Les seuls moments où Sanji semblait être encore un peu lui-même étaient ceux où il enfilait son stupide costume. Durant ces quelques minutes de combat, l'escrimeur retrouvait sa fougue et sa passion et ces épisodes étaient les plus douloureux car alors, le sabreur se prenait à imaginer le cuisinier qu'il avait toujours connu à ses côtés. Il se rappelait ses coups de pieds puissants et précis qui surprenaient immanquablement ses adversaires jusqu'à les laisser inconscients au sol. Son allure impeccable qui cachait une force terrifiante et qu'il avait adoré tester lui-même à chaque opportunité. Sa confiance nonchalante qui rendait ses ennemis trop sûrs d'eux et que le blond se faisait un malin plaisir de remettre à leur place. Son sourire en coin qu'il distribuait avec insolence.

A l'ombre de nos cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant