19. Ajustements

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Sanji tournait les pages de son troisième livre de recettes avec impatience. Il faisait un froid glacial depuis la veille au soir sur le Sunny et l'équipage avait compris qu'ils étaient entrés dans la zone climatique de la prochaine île. Tout naturellement, ses amis avaient alors demandé à leur cuisinier un repas bien chaud pour le déjeuner du lendemain et celui-ci avait approuvé sans réfléchir. Il avait en effet l'habitude d'adapter ses préparations selon le temps : une salade légère en été ou un gratin fumant en hiver soutenait autant les corps que les esprits et le blond avait toujours eu conscience du pouvoir réconfortant de la nourriture au-delà de ses apports énergétiques indispensables.

Passé son réflexe cependant, Sanji s'était rappelé d'un inconvénient majeur à sa promesse. Qu'allait-il pouvoir mitonner alors que son goût et son odorat avaient complètement disparu depuis maintenant des jours ? Jusqu'ici, le cuisinier s'était arrangé pour confectionner des repas qu'il connaissait parfaitement et il ne s'en était pas trop mal tiré s'il en jugeait par les sourires ravis de son équipage à chaque repas. Malheureusement, avec la fin de ses réserves, il devait absolument s'adapter et aucune de ses recettes de soupes ou de plats mijotés classiques n'était plus possible. Il allait devoir improviser et cuisiner sans aucun filet de sécurité. Il allait devoir compter sur la chance pour juger des arômes et du goût et cela lui paraissait tout bonnement inconcevable.

C'est pourquoi il épluchait sans relâche ses livres depuis près de deux heures dans l'espoir de tomber sur une préparation à laquelle il n'aurait pas pensé et qu'il connaissait par cœur. Il dut pourtant bientôt se rendre à l'évidence : il lui manquait toujours l'un ou l'autre des ingrédients nécessaires et même s'il avait la chance de se rappeler d'une recette qui remplissait tous les critères dans les prochaines minutes, il n'allait pas pouvoir continuer ainsi indéfiniment. Il devrait nécessairement confectionner des repas avec des restes à un moment ou à un autre et cette perspective lui donnait des sueurs froides car malheureusement, Chopper ne semblait pas être sur le point de trouver le remède au mal qui le rongeait.

Sanji referma soudain son livre et ferma les yeux. Il fallait qu'il se décide sinon il ne pourrait pas présenter son repas en temps et en heure. Ses amis ne manqueraient sûrement pas de le remarquer et il ne voulait pas attirer leur attention sur la nourriture alors même qu'il ne pourrait pas être absolument certain de sa qualité. De plus, après le spectacle lamentable qu'il leur avait offert, il souhaitait ardemment se faire oublier par tous les moyens.

Jetant un coup d'œil à ses ingrédients étalés devant lui, le cuisinier décida donc de son menu : il servirait un risotto au potiron avec de belles escalopes de dinde et un potage épais avec le reste de ses légumes et du lard. En dessert, un clafoutis aux pommes et à la cannelle ne devrait pas lui poser trop de difficultés.

Comme il se levait pour commencer ses préparations avec détermination, Sanji ne put s'empêcher de se mordre les lèvres. Le rôle d'un cuisinier consistait évidemment à s'assurer de l'intégrité parfaite de la nourriture qu'il servait mais il ne pourrait pas s'en assurer lors de ses prochains achats. Bien sûr, l'aspect visuel et le toucher lui fournissaient d'importants indices mais il vérifiait toujours que les aliments n'avaient pas tourné en les sentant et même en les goûtant le cas échéant avant de les utiliser. Jusqu'ici, il ne s'en était pas trop inquiété car il avait lui-même choisi leurs dernières acquisitions et il avait confiance en son jugement. Les jours passant cependant, un aliment pouvait se détériorer sans qu'il ne le voit et il ne voulait pas prendre de risque à ce sujet. Conserver des denrées toujours parfaitement fraîches était impossible sur un bateau et le blond commençait à saisir toutes les implications que son problème présentait.

Sanji comprit alors que peu importe les sentiments douloureux que cette perspective lui inspirait, il allait devoir se reposer sur ses compagnons d'équipage pour ne pas prendre le risque de les empoisonner sans le savoir. Quelqu'un devrait l'accompagner pour faire les courses et s'il était tout à fait honnête, quelqu'un devrait également s'assurer que les prochains repas étaient mangeables au niveau du goût mais aussi et surtout au niveau de la qualité. Les risques d'une pêche ou d'une viande contaminée n'était jamais à exclure malgré le meilleur des conditionnements et cette négligence pouvait s'avérer très dangereuse. Ils étaient un équipage mondialement connu que la Marine et les pirates les plus forts du monde pourchassaient désormais. Ils ne pouvaient pas se permettre de tomber malade et de ne pas pouvoir se défendre à cause d'un plat avarié.

A l'ombre de nos cœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant