A l'ombre de nos cœurs

29. Faites vos jeux

Sanji ouvrit les yeux et se redressa sur sa couchette en grimaçant. Dehors, l'aube se levait à peine mais il décida tout de même de se lever. Autour de lui, ses amis dormaient encore à poings fermés malgré le roulis incessant du Sunny depuis la veille.

Ils approchaient de leur prochaine destination et l'entrée de l'île urbaine de Napola se trouvait à l'embouchure de son fleuve principal. Les estuaires amenaient invariablement une forte houle et combinés au temps maussade de ce climat automnal, le Sunny se faisait balloter dans tous les sens.

Le blond attrapa ses vêtements et se glissa sans bruit hors de la pièce. Ce n'était pas les remous qui l'empêchaient de dormir ou qui le réveillaient au beau milieu de la nuit. Sanji était habitué aux caprices de la mer et il ne sentait plus les oscillations des bateaux sur lesquels il avait vécu depuis longtemps. Alors s'il se levait fatigué depuis de nombreuses semaines maintenant, c'était parce que le sommeil le fuyait et que les quelques heures dont il parvenait à bénéficier ici ou là étaient souvent peuplées de cauchemars ou lui donnaient l'impression de ne pas avoir fermé l'œil de la nuit.

Les trois jours que l'équipage avait passés sur le lagon lui avaient permis de davantage se reposer à cet égard mais le retour au quotidien l'avait rapidement rattrapé et les longues heures de la nuit s'étaient à nouveau allongées sans qu'il ne parvienne à trouver le repos.

Dehors, Sanji salua Jinbei dont le tour de garde s'achevait. L'homme poisson s'était installé au gouvernail au vu de l'état de la mer et Nami le remplacerait sitôt le petit déjeuner avalé. Le blond s'accouda ensuite au bastingage un peu plus loin pour s'allumer une cigarette tant bien que mal sous l'assaut du vent.

Les contours de l'île ne tarderaient plus à se dessiner mais il devait encore assurer au moins deux repas avant de pouvoir faire des réserves et même si les stocks n'étaient pas si bas, la raréfaction de nourriture lui pesait encore plus qu'avant. En effet, il devait composer avec les restes tout en assurant une alimentation de qualité à ses amis et au-delà du goût, sa responsabilité de cuisinier était engagée quant à l'intégrité des plats qu'il servait.

Sanji inspira sur son mégot, passant automatiquement en revue ses préparations pour le petit déjeuner. Ce repas était le seul que le blond effectuait toujours seul et il était à la fois une bénédiction et une malédiction.

En premier lieu, Sanji l'appréciait car il lui apportait un semblant de normalité. Le café, le thé, les tartines, les omelettes ou les gaufres étaient des préparations simples et tellement répétées que le blond n'avait pas besoin de les vérifier. Les plats s'enchainaient sans qu'il n'ait besoin d'y penser et c'était à cet instant que l'ombre succédait à la lumière.

Puisqu'il n'avait pas besoin de se concentrer, ses pensées dérivaient invariablement dans une seule et unique direction et les premières heures de la journée étaient toujours les plus oppressantes. Plus encore que la nuit où le silence s'étirait sans fin, le matin était synonyme d'une nouvelle journée à affronter et la multiplicité des obstacles qu'il pouvait rencontrer lui apparaissait dans toute son infinité : il avait des préparations à gérer et des recettes à trouver. Des repas à anticiper et l'appétit de ses amis à combler.

Bien souvent, l'angoisse l'étreignait et sa respiration s'emballait en même temps que ses mains se mettaient à trembler. Il n'avait alors d'autre choix que de couper le feu sous ses préparations et de s'installer à la table de la cuisine pour tenter d'enrayer la crise au plus vite. Heureusement, il se trouvait seul et cette perspective l'aidait à reprendre le contrôle assez rapidement.

Malgré tout, Sanji était assez confiant pour la journée à venir car concernant le déjeuner, le problème était déjà réglé. La veille, la houle avait projeté sur le bateau des dizaines de crabes soulevés par une vague et Luffy avait d'abord voulu les dévorer tels quels avant que son équipage ne parvienne à la convaincre de les garder à l'aquarium pour le lendemain.