XX - Bones

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Treize ans



   J'ai fait croire à papa que j'avais école. C'est faux. Je voulais juste voir Kat. Je la cherche depuis un an, mais je n'ai pas beaucoup d'influence ou de matière. À croire que les astres étaient de mon côté, je l'ai juste aperçu avec son père. Je suis sûr que c'est elle.

Elle ressemble à maman.

Un bébé ange.

Elle a environ neuf ans maintenant, je crois.

C'est le portrait craché de maman, j'ai cru que j'allais pleurer quand je l'ai vu, ma maman miniature. Ses longs cheveux blonds, ses yeux gris rieurs, ses joues adorables. Elle n'a rien à voir avoir moi, elle est le côté lumineux de la famille. Elle a l'air heureuse, c'est le principal. Son père a l'air sympa, il lui tient la main et rigole avec elle quand elle tourne autour de lui.

Kat est toute petite, j'aimerais bien lui prendre la main et l'emmener à l'école. J'ai vu Peter le faire avec son petit frère la dernière fois, il n'a pas arrêté de nous dire qu'il l'adorait et le copiait sans arrêt, qu'il en avait marre et avait hâte qu'il grandisse. J'aurais aimé pouvoir m'occuper de Kat, j'aurais été fier de lui tenir la main et de l'emmener. Je ne me serais jamais plain d'elle.

Non, je l'aurais aimé.

Comme maman.

Parce que je dois la protéger.

Parce que je suis son grand frère.

Et parce que je n'ai pas su sauver maman.

*

   — Tu es en retard.

   — Mrs. Varne nous a retenu à la fin pour nous donner des devoirs, je mens.

   Il plisse les yeux sans être réellement convaincu et hoche lentement avant de me lancer un sac à dos.

   — On y va.

   — Où ça ?

   Je le suis dans la camionnette et je m'installe côté passager, il active le contact puis pivote vers moi avec son sourire meurtrier. Ce soir, quelqu'un va mourir.

   — S'amuser !

   Je ferme les yeux en sentant une montée de stress nourrir mon estomac et je serre les lanières du sac. J'ai tué il y a un an. Depuis deux autres cadavres sont venus se rajouter à la liste et je sais que j'en rajouterais un avant le lever du jour. Je n'aime pas ça. C'est bizarre. Ça me met mal à l'aise. Mais je n'ai pas le choix. Alors je fume pour oublier, pour me détendre. Puis John aime le fait que je fume, ça fait un d'après lui. J'ai commencé au deuxième. J'ai fait une insomnie, j'ai pleuré et j'ai eu l'impression de mourir six fois. John m'a donné une clope pour me détendre et j'ai pris une douche. Juste après, ça allait mieux. Du moins assez pour que je puisse dormir quelques heures.

   Je ne vois pas le trajet, c'est rapide.

    Il me dit de l'attendre dans la grange et de bloquer les issues. D'éteindre les lumières et de l'attendre sagement. C'est ce que je fais. Pour l'instant, je ne m'occupe pas de la capture des victimes, je ne suis pas encore suffisamment fort mais j'ai le droit à trois heures de musculation, quatre fois par semaine. Bientôt, il m'initiera. Il est impatient. Dès que je prendrais en poids et en muscles, j'aurais les deux pieds dedans. Dans son monde. Ce monde qui est le mien à présent.

   Il revient une heure après avec une femme. Elle est toute menue et mignonne. Il l'assoit sur la chaise et s'esclaffe comme un malade mental. Elle est belle maintenant que je vois son visage. Ses cheveux multicolores me donnent envie de sourire, elle a pleins de piercings sur le visage et du maquillage voyant. Elle a l'air gentille, c'est dommage que papa l'ai attrapé. Elle aurait dû vivre plus longtemps.

   — Aller, vas-y !

   Je le regarde sur le côté, sa main me montre la femme inerte, inconsciente et j'opine. Des frissons parcourent mon corps quand je m'approche. Elle a le même parfum. Maman aussi sentait la vanille. Je sens mon cœur s'affolé, il me hurle de ne pas la blesser, de la protéger. J'en suis incapable. Je ne peux pas. Si j'essaye, il sera en colère et la fera davantage souffrir. Et il ne me laissera pas manger pendant quelques jours.

   Il l'a déjà fait. La première fois que j'ai tué. J'ai vomi tout le long, je n'ai même pas pu terminer, il m'a insulté de faible, il a dit que je n'étais pas un homme, qu'il fallait que j'en devienne un. Que j'arrête d'être un bon à rien. La deuxième fois, je n'ai pas vomi. J'ai tout gardé en moi. Et il en était fier.

   Je prends une profonde inspiration et je commence par ses phalanges. Le craquement sous mes paumes me fait froid dans le dos pourtant je continue, les métacarpes, les carpes, le radius, le cubitus. Tout y passe. Quand j'arrive à son humérus, elle ouvre les yeux et se met à crier. La douleur se ressent dans sa voix et je sens mes jambes tremblées sous moi. John se marre, il adore ça. Les voir terrifiés, constater leur souffrance.

   Moi, ça me fait suer.

   Ma peau se couvre d'une fine pellicule de transpiration tandis que je lui broie l'os. Elle se tourne vers moi et je perds tous mes moyens. Ses yeux. Une paire grise. Comme maman, comme Kat.

   Je ne peux pas.

   Je ne peux pas !

   JE NE PEUX PAS !

   La supplique que j'y lis m'anéanti. Est-ce qu'elle a eu ce regard avant de mourir ? Je m'éloigne lentement d'elle, pourquoi est-ce que je vois maman ? Elle est morte alors pourquoi est-ce que les cheveux arc-en-ciel de la femme sont devenus blonds ? Pourquoi j'ai l'impression qu'elle me sourit comme elle ?

   Je me tiens la tête entre les mains.

   Je... je dois m'en aller.

   John m'attrape violemment par le bras et me jette par terre.

   — Bon à rien ! Tu es débile ! Une sale tafiole !

   Je ne dis rien, je n'y arrive pas, ma gorge est nouée.

   — Regarde-moi bien et laisse l'adulte prendre le pas sur l'enfant en toi !

   La femme me fixe, ses paupières sont écarquillées et elle me demande silencieusement de l'aider. Plus John s'approche, plus son regard devient alarmant, elle a peur. Très peur.

   Je suis désolé...

   Tellement désolé...

Stone ColdOù les histoires vivent. Découvrez maintenant