Chapitre 26 : Gliome (époque : 2124) (1/2)

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Blancs.

Des murs blancs.

« Pourquoi les murs des hôpitaux sont-ils toujours blancs ? » se demande l'élégant et simple homme au milieu des autres familles qui patientent.

Les murs semblent murmurer de ne pas s'en faire, ils en ont vu d'autres. Ce n'est pas si grave. Mais à qui murmurent-ils ?

Une horloge indique 15H 21 d'un air compatissant. Des écrans de télévision en forme de nœud papillon affichent d'un côté les informations et de l'autre un jeu idiot. On n'entend pas plus le son de ces chaînes que les murs qui les tiennent.

« Comment se fait-il que tant de passages et de bruits aboutissent à des ressentis de silence et de solitude ? »

Les images affichent la bourse d'aujourd'hui et la nouvelle hausse de la Société « Apple Newton », problématique de l'ère contemporaine du 22e siècle.

Ce blanc étincelant plonge l'homme dans un état comateux. Il pourrait passer inaperçu parmi la foule. Il est moyennement grand, habillé d'un pull et d'un jean quelconque, le visage fatigué comme signature du soutien inconditionnel d'un partenaire à l'autre.

Malgré ces éléments, il ne passe jamais inaperçu. Nul occupant de l'hôpital et de quelque endroit dans lequel il s'aventure n'oublie ses yeux. Nul ne détient un tel regard.

Dire que ses yeux sont bleus serait une injure à la pureté de la couleur, du regard intense et bienveillant, et enfin, de l'intelligence qui se signale à chaque mouvement de rétine. Un livre d'histoire dépasse de ses vêtements, ainsi qu'un petit carnet qui agrandit la poche arrière de son jean.

Il est rare de voir un Professeur sans son occupation favorite. Les siècles passent, les traditions intellectuelles restent immuables.

Le livre est un recueil des poésies d'Arthur Rimbaud que sa femme aime tant. Pour aujourd'hui, même si elle n'est pas état de l'entendre, il lui soufflera dans l'oreille l'un de ses préférés, le « Départ » issus des « Illuminations » :

« Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. – Ô Rumeurs et Visions ! Départ dans l'affection et le bruit neufs ! »

Cela fait déjà six heures. Il attend indéfiniment une réponse qu'il connait déjà :

« Monsieur, votre femme a la EE26-18, l'électro-encéphalite ».

C'est fatal.

A chaque fois.

Rapidement, même si un départ dans ces conditions s'avère toujours trop rapide.

Il le sait, elle le sait.

Les symptômes sont connus, depuis près d'un siècle.

Elle a commencé par avoir de violents maux de têtes, des nausées et des vomissements. S'en sont suivis des étourdissements. Sa vue, petit à petit, a diminué et s'est troublée. C'est un des derniers signes avant les pertes de mémoire et les crises d'épilepsie. Les dysfonctionnements exécutifs se sont généralisés.

« On a beau chercher différentes causes pour se rassurer, troubles de la vue qui forcent sur l'attention visuelle et cognitive, allergie, migraine... se voiler la face ne change pas la biologie. On meurt seulement en ignorant. » soliloque l'homme.

Il croise le visage d'une femme âgée en grande souffrance. L'éclat de ses yeux clairs égaye la souffrante qui lui adresse un sourire de remerciement. Il est habitué. Son attitude empathique génère des vents qui aident les âmes autour à mieux respirer.

Un encadré historique est positionné à l'entrée de chaque couloir afin de rappeler la situation sociale et sanitaire à chacun.

Depuis la fin du 21e siècle, les hôpitaux ont aménagé un service spécialisé pour ces types de cancer du cerveau. Les gouvernements ont beaucoup investi. Mais sans réels progrès.

Il faut avouer que les dépistages sont chers et les responsables sanitaires n'ont pas forcément les moyens de se les offrir en grande quantité. Dire qu'il y a peu de temps ces causes étaient encore incomprises, ou attribuées à de multiples facteurs. On ne connaît que trop bien aujourd'hui les aspects pathogènes de certaines sources énergétiques.

L'homme traîne dans les couloirs lugubres pourtant peints et éclairés comme un service périnatal. En ces circonstances, même si c'est irrationnel, d'autres prendraient un verre. Pas lui.

Les personnes qu'il croise paraissent désolées, peu réveillées ou peu endormies selon certaines, non rasées avec des vêtements du matin et, évidemment, fauchées. Il s'assoupit contre la machine à confiseries, ça réchauffe.

Le médecin le réveille doucement, les mains tiennent une tablette ShAPI d'analyse et de traitement ayant remplacée le légendaire carnet métallique. Il ne dit rien pendant quelques minutes, patientant respectueusement que le mari se réveille.

Enfin, il lui sert la main et entre immédiatement dans le vif. Les médecins doivent dire les faits et ne pas s'avancer sur des solutions dont les probabilités statistiques n'ont pas de corrélations avérées :

- Monsieur... William Andrews. Je vais droit au but, il est essentiel d'être clair sur la situation. Vous vous doutez de quoi il en est. Votre femme souffre d'une tumeur du système nerveux central, de type Gliome EE26-18, plus communément appelée « électro-encéphalite ». Nous avons attendu les résultats finaux, afin d'être certains qu'il ne s'agissait pas d'une petite tumeur qui aurait pu se traiter avec un GammeKnife. Hélas...

Dr J. Stevens FACE aux GARDIENS [ShortList Watty22... ss Edition] (Partie 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant